Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/205

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nouveau jour à la tribune, qui bat le rappel ? Que ceux qui font battre le rappel soient mis hors la loi ! » Des cris : « On nous trahit, aux armes ! À l’Hôtel de Ville ! » s’élèvent du peuple.

Le président est chassé de son fauteuil ou, s’il faut en croire la version qu’il en donna depuis, il s’en fait volontairement chasser. Un chef de club, nommé Huber, monte sur le bureau, y arbore un drapeau surmonté d’un bonnet rouge ; cet homme venait, à ce qu’il paraît, d’avoir un long évanouissement épileptique causé sans doute par l’excitation et la chaleur ; c’est au sortir de cette espèce de sommeil troublé qu’il se présentait ; il avait encore les habits en désordre et l’air effaré et hagard ; il cria deux fois d’une voix éclatante qui, partant ainsi d’en haut, remplit la salle et domina tous les autres bruits : « Au nom du peuple, trompé par ses représentants, je déclare l’Assemblée nationale dissoute ! »

L’Assemblée, qui n’avait plus de bureau, se disperse. Barbès et les plus hardis des clubistes sortent pour se rendre à l’Hôtel de Ville. Cette conclusion était loin d’être du goût de tout le monde. J’entendis à côté de moi des gens du peuple qui disaient entre eux, avec douleur : « Non, non ; ce n’est pas cela que nous voulons. » Beaucoup de républicains sincères étaient désespérés. Je fus abordé, au milieu de ce tumulte, par