Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/238

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maison comme domestique, le fils d’un pauvre homme dont la misère l’avait touché. Le soir du jour où l’insurrection commença, il entendit cet enfant, qui disait en desservant le dîner de la famille : « Dimanche prochain (on était au jeudi), c’est nous qui mangerons les ailes de poulet ; » à quoi une petite fille qui travaillait dans la maison répondit : « Et c’est nous qui porterons les belles robes de soie. » Qui pourrait mieux donner une idée de l’état des esprits que cette scène enfantine ? Et ce qui la complète, c’est que Blanqui se garda bien d’avoir l’air d’entendre ces marmots : ils lui faisaient grand’peur. Ce ne fut que le lendemain de la victoire, qu’il se permit de reconduire ce jeune ambitieux et cette petite glorieuse dans leur taudis.

Je parvins enfin à l’Assemblée ; les représentants y accouraient en foule, quoique l’heure indiquée pour la réunion ne fût pas venue. Le bruit du canon les rassemblait. Le palais avait l’aspect d’une place de guerre ; des bataillons campaient autour ; des canons étaient braqués vers toutes les avenues qui pouvaient y conduire.

Je trouvai l’Assemblée très résolue, mais elle était très inquiète ; et il faut avouer qu’il y avait de quoi l’être. À travers la contrariété des rapports, il était facile d’apercevoir qu’on avait affaire à l’insurrection la