Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/239

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plus générale, la mieux armée et la plus furieuse qu’on eût jamais vue dans Paris. Les ateliers nationaux et plusieurs bandes révolutionnaires qu’on venait de licencier lui fournissaient des soldats déjà disciplinés et aguerris et des chefs. Elle s’étendait à chaque instant encore et il était difficile de croire qu’elle ne finît pas par être victorieuse en se rappelant que toutes les grandes insurrections qui avaient eu lieu depuis soixante ans avaient triomphé. À tous ces ennemis, nous ne pouvions opposer que les bataillons de la bourgeoisie, des régiments désarmés en février et vingt mille jeunes gens indisciplinés de la garde mobile, qui tous étaient fils, frères ou parents d’insurgés, et dont les dispositions étaient fort douteuses.

Mais ce qui nous effrayait le plus était nos chefs. Les membres de la commission exécutive nous inspiraient une profonde défiance. Sur ce point, je retrouvai, dans l’Assemblée, les mêmes sentiments que je venais de voir éclater dans la garde nationale. Nous nous défiions de la fidélité de quelques-uns, de la capacité de tous. Ils étaient trop nombreux, d’ailleurs, et trop divisés pour pouvoir agir en un complet accord, et trop gens de parole et de plume pour pouvoir, dans une telle circonstance, agir avec efficacité, quand ils se seraient entendus.

Nous triomphâmes, pourtant, de cette insurrection