Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/240

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si formidable : bien plus, ce qui la rendait si terrible fut précisément ce qui nous sauva et jamais on ne peut mieux appliquer ce mot célèbre du prince de Condé dans les guerres de religion : « Nous périssions, si nous n’eussions été si près de périr. » Si la révolte avait eu un caractère moins radical et un aspect moins farouche, il est probable que la plupart des bourgeois seraient restés dans leurs maisons ; la France ne serait pas accourue à notre aide ; l’Assemblée nationale elle-même eût peut-être cédé ; une minorité de ses membres l’aurait conseillé du moins ; et l’énergie du corps en eût été fort énervée. Mais l’insurrection fut de telle nature que toute transaction avec elle parut sur-le-champ impossible et qu’elle ne laissa, dès le premier moment, d’autre alternative que de la vaincre ou de périr.

Cette même raison empêcha aucun homme considérable de se mettre à sa tête. Il est ordinaire que les insurrections, je parle de celles mêmes qui triomphent, commencent sans chef ; mais elles finissent toujours par en rencontrer. Celle-ci se termina sans en avoir trouvé, elle embrassa toutes les classes populaires mais elle n’en dépassa jamais les bords. Les montagnards de l’Assemblée eux-mêmes n’osèrent se prononcer pour elle. Plusieurs se prononcèrent contre elle. Ils ne désespéraient pas encore d’arriver à leurs fins par une autre