Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne dirai pas d’admiration, mais de surprise. Janvier a dit de Crémieux que c’était un pou éloquent. Que ne l’a-t-il vu ce jour-là, harassé, débraillé, dégouttant de sueur et souillé de poussière, entortillé d’une longue écharpe qui se tournait plusieurs fois en divers sens autour de son petit corps, mais trouvant sans cesse des idées nouvelles ou plutôt des tours et des mots nouveaux, mettant tantôt en mouvement ce qu’il venait de mettre en récit, tantôt en récit ce qu’il venait de mettre en mouvement ; toujours éloquent, toujours chaleureux. Je ne crois pas qu’on ait jamais vu et je doute qu’on ait jamais imaginé un homme qui fût plus laid ni plus disert.

Je remarquai que quand on annonçait aux gardes nationaux que Paris était en état de siège, ils en étaient contents, et quand on leur disait que la commission exécutive était renversée, ils poussaient des cris de joie. Jamais peuple ne fut si aise d’être débarrassé de sa liberté et de son gouvernement. Voilà pourtant où la popularité de Lamartine avait abouti en moins de deux mois.

Quand nous avions fini de parler, ces hommes nous entouraient ; ils nous demandaient si nous étions bien sûrs que la commission exécutive eût cessé ses fonctions ; il fallait leur montrer le décret pour les satisfaire.

Ce que je remarquai surtout, ce fut l’attitude ferme