Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/260

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qu’il devait renoncer à son dessein ? J’ai cru alors qu’il n’avait jamais sérieusement conçu celui-ci et je le crois encore. Dans les temps de révolution, on se vante presque autant des crimes prétendus qu’on veut commettre que, dans les temps ordinaires, des bonnes intentions qu’on prétend avoir. J’ai toujours pensé que ce misérable ne fût devenu dangereux que si la fortune du combat avait paru tourner contre nous, mais elle penchait, au contraire, de notre côté, quoique encore indécise, et cela suffisait pour me garantir.

À la pointe du jour, j’entendis quelqu’un qui pénétrait chez moi, je me réveillai en sursaut : c’était mon domestique qui s’était servi pour entrer d’une clef particulière de l’appartement, qu’il possédait ; ce brave garçon sortait du bivouac (je l’avais muni, à sa demande, d’un uniforme de garde national et d’un bon fusil), il venait savoir si j’étais rentré et si ses services ne m’étaient pas nécessaires. Celui-ci n’était socialiste, à coup sûr, ni de théorie, ni de tempérament. Il n’était même atteint, à aucun degré de la maladie la plus ordinaire du siècle, qui est l’inquiétude de l’esprit et on eût difficilement rencontré, même dans d’autres temps que les nôtres, un homme plus tranquille dans sa position et moins chagrin de son sort. Toujours très content de lui-même et assez satisfait d’autrui, il ne convoitait d’ordinaire que ce qui était à