Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/290

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pût comprimer quelquefois un corps législatif divisé, un président qui se sentirait une telle origine et de tels droits refuserait toujours de devenir le pur agent, et de rester soumis aux volontés capricieuses et tyranniques d’une seule assemblée.

Nous avions raison des deux parts. Le problème, ainsi posé, était insoluble, mais la nation le posait ainsi. C’était rendre la république impossible que de laisser au président le pouvoir qu’avait le roi et le faire élire par le peuple. Il fallait comme je le disais plus loin, ou rétrécir infiniment la sphère de ses pouvoirs ou le faire élire par l’Assemblée, mais la nation ne voulait souffrir ni l’un ni l’autre.

Dupin acheva notre déroute ; il défendit la Chambre unique avec une verve surprenante. On eût dit qu’il n’eût jamais été d’un autre avis. Je m’y attendais. Je lui connaissais un cœur habituellement intéressé et lâche, sujet seulement de temps à autre à des soubresauts de courage et d’honnêteté. Je l’avais vu, pendant dix ans, rôder autour de tous les partis sans y entrer et courir sus à tous les vaincus ; moitié singe et moitié chacal, sans cesse mordant, grimaçant, gambadant et toujours prêt à se jeter sur le malheureux qui tombait. Il se montra semblable à lui-même dans la commission de constitution, ou plutôt il s’y surpassa. Je n’aperçus jamais en lui aucun de