Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/298

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En second lieu, je proposai de substituer la majorité absolue à la majorité relative ; si la majorité absolue n’était pas obtenue au premier tour, l’Assemblée serait chargée de faire le choix. Ces idées, je le crois, étaient bonnes, mais elles n’étaient pas neuves ; je les avais prises dans la constitution d’Amérique. Je crois qu’on ne s’en serait pas douté, si je ne l’avais pas dit, tant la commission était peu préparée à jouer son grand rôle.

La première partie de mon amendement fut rejetée, je m’y attendais ; nos grands hommes jugèrent que ce système n’était pas assez simple et ils le trouvèrent légèrement entaché d’aristocratie ; la seconde fut admise ; c’est l’article actuel de la constitution.

Beaumont proposa que le président ne fût pas rééligible ; je l’appuyai très vivement et la proposition passa. Nous tombâmes l’un et l’autre, en cette occasion, dans une grande erreur qui aura, je le crois bien, de très fâcheuses conséquences ; nous avions toujours été fort frappés des dangers que ferait courir à la liberté et à la moralité publique un président rééligible, qui emploierait d’avance à se faire réélire, comme cela ne pouvait manquer d’arriver, les immenses moyens de contrainte ou de corruption, que nos lois et nos mœurs accordent au chef du pouvoir exécutif. Notre esprit ne fut pas assez souple et assez prompt pour se retourner