Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/30

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je puis affirmer que ces grands orateurs s’ennuyaient fort à s’écouter entre eux, et, qui pis était, la nation entière s’ennuyait à les entendre. Elle s’habituait insensiblement à voir dans les luttes des Chambres des exercices de l’esprit plutôt que des discussions sérieuses et, dans tout ce qui divisait les différents partis parlementaires, — majorité, centre gauche ou opposition dynastique, — des querelles intérieures entre les enfants d’une même famille cherchant à se friponner les uns les autres. Quelques faits éclatants de corruption découverts par hasard lui en faisant supposer partout de cachés, lui avaient persuadé que toute la classe qui gouvernait était corrompue, et elle avait conçu pour celle-ci un mépris tranquille, qu’on prenait pour une soumission confiante et satisfaite.

Le pays était alors divisé en deux parts ou plutôt en deux zones inégales : dans celle d’en haut, qui seule devait contenir toute la vie politique de la nation, il ne régnait que langueur, impuissance, immobilité, ennui ; dans celle d’en bas, la vie politique, au contraire, commençait à se manifester, par des symptômes fébriles et irréguliers que l’observateur attentif pouvait aisément saisir.

J’étais un de ces observateurs et, bien que je fusse loin d’imaginer que la catastrophe fût si proche et dût être si terrible, je sentais l’inquiétude naître et