Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/343

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Quoique les chefs de la Montagne eussent continué à être outrageants, ils ne s’étaient pas montrés très fermes ; de sorte qu’on put se flatter que le moment décisif de la lutte n’était pas encore arrivé. On se trompait. Les rapports que nous reçûmes dans la nuit nous apprirent qu’on préparait une prise d’armes.

Le lendemain, en effet, le langage des journaux démagogiques annonçait que leurs rédacteurs ne comptaient plus sur la justice, mais sur une révolution pour les absoudre. Tous en appelaient directement ou indirectement à la guerre civile. La garde nationale, les écoles, la population tout entière étaient conviées par eux à se rendre, sans armes, à un lieu désigné, pour venir ensuite se présenter en masse devant les portes de l’Assemblée. C’était un 23 juin qu’on voulait faire commencer par un 15 mai ; sept à huit mille personnes se réunirent, en effet, vers onze heures au Château-d’Eau. De notre côté nous tenions conseil chez le président de la république. Celui-ci était déjà en uniforme et prêt à monter à cheval dès qu’on lui annoncerait que la bataille serait commencée. Il n’avait, du reste, changé que d’habits. C’était précisément le même homme que la veille : le même aspect un peu morne, la parole aussi lente et aussi embarrassée, l’œil aussi terne. Rien de cette sorte d’agitation guerrière et de gaieté un peu fébrile que donne souvent l’approche