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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/40

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Je me rappelle qu’en descendant de la tribune, Dufaure me prit à part et me dit avec cette sorte de divination parlementaire qui fait son seul génie : « Vous avez réussi, mais vous auriez bien plus réussi encore si vous n’aviez autant dépassé le sentiment de l’assemblée et voulu nous faire si grand’peur. » Et maintenant que me voici en face de moi-même et que je cherche sérieusement dans mes souvenirs si, en effet, j’étais aussi effrayé que j’en avais l’air, je trouve que non, je discerne sans peine que l’événement m’a plus promptement et plus complètement justifié que je ne le prévoyais (ce qui est arrivé quelquefois peut-être à d’autres prophètes politiques, mieux autorisés que moi à prédire l’avenir). Non, je ne m’attendais point à une révolution telle que nous l’allions voir ; et qui eût pu s’y attendre ? J’apercevais, je crois, plus clairement qu’un autre les causes générales, qui préparaient l’événement ; mais je ne voyais pas les accidents qui allaient le précipiter. Cependant, les jours qui nous séparaient encore de la catastrophe s’écoulaient rapidement.