Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout une véritable rage contre ces hommes. Le désir de cette satisfaction d’amour-propre national, quelque peu sauvage, était exalté chez les soldats et le peuple. L’empereur, malgré sa toute-puissance, est obligé de tenir grand compte de l’esprit des masses sur lequel il s’appuie, et qui fait sa véritable force. Ce n’est pas ici simplement une question d’amour-propre individuel : le sentiment national du pays et de l’armée est en jeu. »

Ce furent, sans nul doute, ces considérations qui portèrent le tsar à la démarche hasardée dont je viens de parler. Le prince Radziwill présenta sa lettre et n’obtint rien. Il partit aussitôt, en refusant avec hauteur une nouvelle audience, qu’on lui offrait pour prendre congé ; et les ambassadeurs de Russie et d’Autriche déclarèrent officiellement que tous rapports diplomatiques avaient cessé entre leurs maîtres et le Divan.

Celui-ci agit, en cette circonstance critique, avec une fermeté et une tenue, qui eussent fait honneur aux cabinets les plus expérimentés de l’Europe. En même temps que le sultan refusait de se rendre aux demandes, ou plutôt aux ordres des deux empereurs, il écrivait au tsar pour lui dire qu’il ne voulait pas discuter avec lui la question de droit, que soulevait l’interprétation