Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/42

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entre M. Thiers et M. Barrot, et à opérer une véritable fusion entre les deux fragments de l’opposition, que nous appelions dans notre jargon parlementaire le centre gauche et la gauche. Presque tous les esprits raides et indociles, qui se rencontraient en si grand nombre dans ce dernier parti, avaient été successivement adoucis, détendus, pliés, assouplis par les promesses de places qu’avait prodiguées M. Thiers. Je crois même que, pour la première fois, M. Barrot s’était laissé non pas gagner précisément, mais surprendre par des arguments de cette espèce. L’intimité la plus complète existait donc entre les deux grands chefs de l’opposition quelle qu’en fût la cause, et M. Barrot, qui mêle volontiers un peu de niaiserie à ses faiblesses comme à ses vertus, s’évertuait de son mieux pour faire triompher son allié, fût-ce même à ses propres dépens. M. Thiers l’avait laissé s’engager dans cette affaire des banquets, je pense même qu’il l’y avait poussé sans s’y engager lui-même, voulant bien le résultat mais non la responsabilité de cette agitation dangereuse. Quant à lui, entouré de ses amis particuliers, il se tenait immobile et muet à Paris, tandis que Barrot parcourait seul le pays en tous sens depuis trois mois, faisant, dans toutes les villes où il s’arrêtait, de longs discours et ressemblant assez, suivant moi, à ces batteurs qui font grand bruit afin que le tireur à