Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/85

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Je suivis mes amis jusqu’au ministère de l’intérieur où ils se rendaient. La foule, qui nous accompagna, y entra ou plutôt y roula tumultueusement et pénétra avec nous jusque dans l’enceinte étroite du cabinet que venait de quitter M. Duchâtel. Barrot chercha aussitôt à se dégager en congédiant cette cohue, mais il ne put y parvenir.

Ces hommes, qui appartenaient à deux opinions très opposées, ainsi que je m’en aperçus alors, les uns étant républicains et les autres constitutionnels, se mirent à discuter d’une façon véhémente avec nous et entre eux sur les partis qu’il y avait à prendre, et, comme on était serré les uns contre les autres dans un fort petit espace, la chaleur, la poussière, la confusion et le vacarme devinrent bientôt effroyables. Barrot qui trouvait toujours de longues phrases pompeuses dans les moments les plus critiques, et gardait un air digne et presque mystérieux même dans les situations les plus ridicules, pérorait de son mieux in angustiis. Sa voix dominait quelquefois le tumulte, mais sans parvenir à le faire cesser. Désespéré et dégoûté à la vue d’une scène si violente et si burlesque, je quittai ce lieu, où l’on échangeait presque autant de gourmades que de raisonnements, et je retournai à la Chambre.

Je touchais déjà à la porte de cette assemblée sans me douter encore de ce qui se passait dans l’intérieur