Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/87

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les cris qui s’échappaient de là de temps à autre que par tout le reste de la séance.

Il y avait cinquante ans qu’on n’avait vu un spectacle de ce genre. Depuis la Convention, les tribunes étaient muettes et le silence des tribunes était entré dans nos mœurs parlementaires. Toutefois, si au moment dont je parle, la Chambre se sentait déjà gênée dans ses mouvements, elle n’était pas encore comprimée ; les députés étaient assez nombreux ; les principaux chefs de parti manquaient toujours. J’entendis demander de toutes parts où étaient M. Thiers et M. Barrot ; j’ignorais ce qu’était devenu M. Thiers, mais je ne savais que trop ce que faisait M. Barrot. Je lui envoyai à la hâte un de nos amis pour le prévenir de ce qui se passait, et il accourut en toute hâte, car, pour celui-là, je puis répondre que son âme n’a jamais connu la crainte.

Après avoir considéré un instant cette séance extraordinaire, j’avais regagné à la hâte ma place accoutumée sur les bancs relevés du centre gauche ; j’ai toujours eu pour maxime que, dans les moments de crise, il faut non seulement être présent à l’assemblée dont on fait partie, mais s’y tenir à l’endroit où on a l’habitude de vous voir.

On avait commencé une espèce de délibération confuse et tumultueuse ; j’entendis M. Lacrosse, qui fut