Page:Alfieri - De la Tyrannie.djvu/48

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méritent le titre de vils au suprême degré, sont nécessairement ceux qui approchent le plus près du tyran, c’est-à-dire, de la source de toute peur active et passive. C’est pourquoi, à mon avis, il y a une très-grande différence entre la peur et la lâcheté : l’homme honnête peut être, par les circonstances cruelles où se trouve son pays, réduit à craindre ; mais il craindra avec une certaine dignité ; il craindra en se taisant, en fuyant pour toujours jusqu’à l’aspect même de celui qui répand la terreur partout, et il déplorera en lui-même, et avec quelques amis, la nécessité de craindre, l’impossibilité de détruire une crainte aussi indigne ou d’y porter remède. Au contraire, l’homme déjà vil par sa propre nature, faisant pompe de sa lâcheté, et la cachant sous le masque infâme d’un amour supposé, cherchera à s’approcher, à s’identifier, autant qu’il le pourra, avec le tyran : le misérable espère diminuer de cette manière sa propre crainte, et la centupler dans les autres.

Il me paraît donc bien démontré que, quoique tous les hommes soient avilis sous la tyrannie, ils ne sont pas pour cela tous vils.