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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/185

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ACTE

posé a reçu le nom d’ἐντελέχεια. Ces deux termes appliqués à l’être sont synonymes. Farges, Théorie de l’acte et de la puissance, p. 28, note ; Kauffmann, Étude de la cause finale, trad. Deiber, Paris, 1898, p. 32, note. Le mot énergie, selon qu’il s’applique à l’acte second (voir II Acte premier et acte second), c’est-à-dire à l’opération, — ou à l’acte premier, c’est-à-dire à la perfection (entéléchie) qui détermine une pure puissance à être (existence) ou à être ce qu’elle est (forme), se traduira par actio ou par actus dans la langue de saint Thomas. Cf. Revue thomiste, 1re année, n. 6, Gardeil, Note sur l’emploi du mot ἐνέργεια dans Aristote.

II. Historique.

L’influence de la doctrine de puissance et acte ne se fait pas sentir dans la théologie des premiers siècles, plus préoccupée de définir les aspects surnaturels de la divinité que ses aspects philosophiques. Elle est latente cependant sous les concepts de nature, hypostase, personne ; mais elle forme alors plutôt le fond reçu de la pensée philosophique appliquée à la théologie qu’une thèse spéciale. — Saint Augustin n’en offre pas de théorie précise, bien que, dans sa lutte contre les manichéens, il ait approfondi certaines données (mal privation du bien ; matière première pure puissance ; perfection de l’être divin) qui y touchent de très près. — Saint Jean Damascène n’utilise pas ex professo la notion d’acte et puissance. — Boèce l’introduit chez les latins par son commentaire du De interpretatione, P. L., t. lxiv, col. 282 d. Elle y reste sans emploi. Le nom même d’Aristote ne se trouve pas dans Pierre Lombard. Guillaume de Paris (1248) le premier cite la Métaphysique d’Aristote. A. Jourdain, Recherches sur les trad. d’Aristote, Paris, 1843, p. 31. Albert le Grand la commente sur une traduction gréco-latine, ibid., p. 33, et s’en sert dans son commentaire sur les Sentences et sa Somme. Saint Thomas a commenté le neuvième livre des Métaphysiques avec une abondance et une lucidité qui ne laissent rien à désirer. Édit. de Padoue, t. xx.

III. Principales applications théologiques.

Nous ne parlerons que de celles qui ont été faites par saint Thomas d’Aquin.

1o Existence de Dieu.

Les preuves de l’existence de Dieu sont a posteriori ou par les effets. Les êtres avec lesquels nous sommes en relation immédiate, dûment analysés, nous apparaissent conditionnés au triple point de vue de la production, de l’essence et de la destination. Le fond de cette dépendance est l’état mélangé de puissance et d’acte de ces êtres (troisième preuve de saint Thomas, Ia, q. ii, a. 3). La considération de la potentialité dans l’ordre de production donne lieu aux deux premières preuves qui aboutissent à une première cause efficiente. La potentialité dans l’ordre des essences ou formes donne lieu à la quatrième preuve qui aboutit à une cause exemplaire parfaite. Dans l’ordre de finalité on aboutit à l’acte directeur de l’ordre du monde en vue d’une fin. Un seul principe est appliqué dans toutes ces preuves, à savoir que, à la puissance correspond nécessairement un acte antérieur (actus prior), lequel, s’il est mélangé de puissances (potentia), en exige un autre, jusqu’à ce qu’on arrive à un acte pur.

2o Nature de Dieu : acte pur.

Au XIIe livre des Métaphysiques (édit. Didot, 1. XI, c. v ; S. Thomas, 1. XII, lect. v), Aristote était parvenu à l’existence de l’acte pur. Il le considère, d’abord, non comme un simple moteur, mais comme une activité essentielle, ἐνεργόυν δὲ τι. Il se demande ensuite comment ce moteur agit toujours si sa substance n’est pas toujours et il conclut à un principe dont la substance est en acte : Τῆς ἡ οὐσία ἐνέργεια. Cf. Gardeil, dans Revue thomiste, t. i, p. 782, sur l’emploi du mot ἐνέργεια. — C’est la conclusion qui ressort aussi des cinq preuves de l’existence de Dieu. Dieu est sans mélange d’aucune potentialité, c’est-à-dire acte pur (voir ce mot). — Saint Thomas se sert de la notion d’acte pur concurremment avec celle d’être premier pour reconnaître la nature de Dieu et des attributs divins. Sa méthode consiste à nier en Dieu toutes les imperfections des créatures, c’est-à-dire tout ce qu’elles ont de potentiel ; à affirmer en lui à l’état éminent (voir ce mot) toutes les perfections, c’est-à-dire ce qu’elles ont d’actualité. Ia, q. xiii, a. 1. Dans la question ii de la Somme théologique, saint Thomas détermine ainsi par la voie de négation :
1o que Dieu n’est pas un corps (a. 1, 2a ratio) ; —
2o qu’il n’y a pas en lui composition de forme et de matière (a. 2, 4a ratio ; cf. ad 3um) ; —
3o que Dieu est son essence (a. 3) ; —
4o qu’en Dieu l’essence et l’existence sont une même chose (a. 4, 2a ratio) et que son être n’est pas générique ou potentiel, mais l’actualité parfaite, quia est de ratione ejus quod non fiat ci additio (ad 1um) ; —
5o que Dieu n’est pas dans un genre (a. 5, 1a ratio) ; —
6o que Dieu n’a pas d’accidents (a. 6, 1a ratio) ; —
7o que Dieu est absolument simple (a. 7, 4a ratio). Ainsi, toute la nature métaphysique de Dieu peut être reconnue à l’aide d’un seul médium de démonstration : l’acte pur. Et cette notion nous apparaît avec la notion de premier être comme le trait d’union du monde et de Dieu : d’une part, attribut essentiel à Dieu, appelant par conséquent toute l’essence divine à laquelle il est identique ; d’autre part, réalité postulée par la nature du monde que nous connaissons directement, attribut essentiel du monde, autant qu’une cause peut être essentielle à l’organisme dynamique qu’elle produit et met en branle. Cf. Cajetan, In Sum., Ia, q. il, a. 3, § et ut melius intelligatur. La notion d’acte pur s’achève dans la détermination des autres attributs métaphysiques : la perfection divine, q. iv, a. 1, in corp. et ad 3um ; ce qu’il y a de spécial dans sa bonté, q. VI, a. 3, son infinité, q. vii, a. 1, son immutabilité, q. IX, a. 1, 1a ratio, et a. 2, son unité, q. xi, a. 4, son intelligibilité, q. xii, a. i. — La science est attribuée à Dieu en vertu de ce principe que la connaissance est en raison directe de l’immatérialité, q. xiv, a. 1. L’identité de l’intelligence et de la substance divine est établie sur l’impossibilité pour la substance divine de se comporter vis-à-vis de l’acte d’intelligence, comme une puissance vis-à-vis d’un acte, q. xiv, a. 4. — La notion d’acte pur sert à établir la vraie nature — de la connaissance que Dieu a des choses qui ne sont pas lui, q. xiv, a. 6, in corp. et ad 2um ; a. 8, ad 1um et 3um ; — de la puissance divine, q. xxv, a. 1, et, d’une manière générale, elle entre plus ou moins directement dans la détermination du mode selon lequel les attributs moraux comme les attributs métaphysiques conviennent à Dieu.

3o Nature de Dieu. Trinité.

La notion d’acte sert à établir la notion de procession en Dieu, Ia, q. xxvii, a. 1, in corp. et ad 1um, et de génération, a. 2, in corp. et ad 1um.

4o Nature des anges.

Les anges sont composés de puissance et d’acte en tant que leur nature n’est pas leur être, q. L, a. 2, ad 3um. N’étant pas acte pur, ils ne sont pas leur action, q. liv, a. 1, 2. Leur puissance intellectuelle diffère de leur essence, a. 3, in corp. et ad 2um. Elle n’est pas toujours en acte vis-à-vis de certains objets, q. lviii, a. 1.

5o Création.

La matière première veut être créée directement par Dieu à cause de son absolue potentialité, q. xliv, a. 2, ad 2 um. La création requiert absolument Dieu, parce que le néant est comme la limite de la contrariété de la puissance à l’acte, q. xlv, a. 5, ad 3um.

6o Nature de l’homme.

La subsistance de l’âme humaine se conclut de la puissance qu’elle a de connaître les natures de tous les corps, q. lxxv, a. 1 ; la doctrine du composé humain est un cas particulier de l’application de la doctrine de la puissance à l’acte aux êtres corporels, q. lxxvi, a. 4. Le rapport essentiel de la puissance et de l’acte rend nécessaire l’existence