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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 1.djvu/40

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ABÉLARD (ARTICLES CONDAMNÉS)

11*. Quod in Christo non fuerit spiritus timoris Domini

12. Quod potestas ligandi atque solvendi apostolis tantum data sit, non successoribus.

13. Quod propter opera nec melior nec pejor effîciatur homo.

14. Quod ad Patrem, qui ab alio non est, propvrie vel specialiter attineat operatio, non etiam sapientia et benignitas.

15*. Quod etiam castus timor excludatur a futura vita.

16*. Quod diabolus immittat suggestionem per operationem lapidum vel herbarum.

17*. Quod adventus in fine sæculi possit attribui Patri.

18*. Quod anima Christi per se non descendit ad inferos, sed per potentiam tantum.

19*. Quod nec opus, nec voluntas, neque concupiscentia, neque delectatio, cum movet eam, peccatum sit, nec debemus velle eam extinguere.

11*. Dans le Christ il n’y avait pas l’esprit de crainte de Dieu.

12. Le pouvoir de lier et de délier a été donné aux apôtres seulement, et non à leurs successeurs.

13. Les actes extérieurs ne rendent l’homme ni meilleur ni pire.

14. Au Père, qui ne procède d’aucun autre, appartient en propre ou d’une manière spéciale l’opération, mais non la sagesse et la bonté.

15*. La crainte même filiale est exclue de la vie future.

16*. Le démon insinue la suggestion au mal par l’action des pierres ou des plantes.

17*. L’avènement à la fin des temps peut être attribué au Père.

18*. L’âme du Christ n’est pas elle-même descendue aux enfers ; elle y a seulement pénétré par sa puissance.

19*. Ni l’acte extérieur, ni la volonté de cet acte, ni la concupiscence ou le plaisir excité par elle ne constituent le péché, et nous ne sommes pas tenus de vouloir étouffer ce plaisir.

II. Vrai sens des articles condamnés et système théologique d’Abélard. — Le système d’Abélard bouleverse les principaux dogmes chrétiens : 1o la foi et la méthode théologique ; 2o la Trinité et la création ; 3o l’incarnation et la rédemption ; 4o la nature de l’homme et la grâce ; 5o la morale.

1o Erreurs sur la foi et la méthode théologique. — Bien que la série des articles n’en fasse pas mention, le rationalisme inconscient était le grand grief de Guillaume de Saint-Thierry et de saint Bernard contre Abélard : c’était le principal reproche exprimé dans la lettre des Pères de Sens à Innocent II. P. L., t. clxxxii, col. 357. Malgré de magnifiques apologies de la foi (voir Introductio, l. III, P. L., t. clxxviii, col. 1226, où l’on dit : credi salubriter debet quod explicari non valet), au fond même de son système règne la confusion de la foi et de la philosophie. — 1. Des deux cotés, l’objet est le même, les mystères n’existent plus : « La Trinité est une des vérités que tous les hommes croient naturellement. » Theologia christiana, I. V, P. L., t. clxxviii, col. 1123 ; Introduction, l. II et III, col. 1051-1086 ; Comm. in Epist. ad Rom., col. 803. — 2. Les philosophes ont été divinement inspirés comme les prophètes. Introductio, l. I, col. 998 ; Theologia christ., l. I, col. 1126-1165 ; De unitate, p. 4. Platon a mieux parlé que Moïse de la bonté divine. Theol. christ., l. II, col. 1175. Les philosophes sont donc sauvés, bien plus ce sont des saints « dont les vertus reproduisent la perfection évangélique ». Theol. christ., l. II. col. 1179-1206. — 3. Le motif de la foi est rejeté : « On n’accepte pas une vérité de foi parce que Dieu l’a dite, mais parce que la raison est convaincue. » Introductio, l. II, col. 1050. « Seuls les ignorants recommandent la foi avant de comprendre. » Introductio, l. II, col. 1046-1057. — 4. La certitude de la foi est ébranlée par la définition fameuse qui en fait une opinion, une conjecture : Est quippe fides existimatio rerum non apparentium. Introductio, l. I, col. 981 ; l. III, col. 1051 ; S. Bernard, Epist., cxc, P. L., t. clxxxii, col. 1061.

2o Erreurs sur la Trinité et l’action divine (articles 1, 2, 14, 7, 8, 3). — 1. Le sabellianisme devait naître de ce rationalisme latent. Dès qu’on veut expliquer la Trinité par la raison, il faut bien renoncer à la distinction réelle des trois personnes. Pour Abélard elles ne sont que les trois attributs de la divinité, puissance, sagesse et bonté : les noms Père, Fils, et Saint-Esprit sont détournés de leur sens propre. Cf. Introductio, l. I, P. L., t. clxxviii, col. 989 ; l. II, col. 1086 ; Theol. christ., l. III, col. 1259-1261, 1278. De là cette fameuse comparaison du sigillum æneum qui indignait Guillaume de Saint-Thierry. P. L., t. clxxx, col. 255. — Telle est l’origine de l’article premier : au Père seul appartient la toute-puissance. Cf. Introductio, l.I, col. 994 ; l. II, P. L., t. clxxviii, col. 1068-1069 ; Theologia christ., l. I, col. 1136 ; voir surtout la première Apologia, édit. Cousin, t. ii, p. 730. — « Le Saint-Esprit n’est pas de la substance du Père et du Fils » (article 2), parce que, dans la pensée d’Abélard, le Saint-Esprit, étant amour, doit être l’amour non de Dieu, mais des créatures ; tout amour doit être en effet, dit-il, l’amour d’un autre. Introductio, l. II, P. L., t. clxxviii, col. 1072. — On voit aussi pourquoi (dans l’article 14) la puissance est réservée au Père seul, comme au Fils la sagesse et au Saint-Esprit la bonté. — 2. Dans l’œuvre de la création, Abélard, séduit par les rêveries de Platon, remplace la liberté et la toute-puissance de Dieu par l’optimisme le plus exagéré : Dieu ne peut rien faire autrement qu’il ne fait (art. 7), il ne pouvait empêcher le mal qu’il a permis (art. 8). Le monde ne pouvait être meilleur. Si Dieu en effet avait pu faire mieux et ne l’avait point voulu, serait-il infiniment bon, et ne pourrait-on pas l’accuser d’envie ? Introductio, l. III, col. 1093-1103 ; Theol. christ., l. V, col. 1324-1330. La rétractation d’Abélard, Fidei confessio, col. 107, plus franche sur l’article 7, est encore nuageuse sur l’article 8. L’optimisme d’Abélard, sur lequel se taisent saint Bernard et Guillaume de Saint-Thierry, a été vivement combattu par l’auteur anonyme de la Disputatio adv. Abail., P. L., t. clxxx, col. 318-322, par Robert Pulleyn, Sent., l. I, c. xv, P. L., t. clxxxvi, col. 709, cf. 1020, par Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, l. I, part. II, c. xxii, P. L., t. clxxvi, col. 214, et par l’auteur de la Summa sententiarum, faussement (voir l’article suivant) attribuée à Hugues. P. L., t. clxxvi, col. 69. — 3o Le panthéisme est-il renfermé dans la théorie du « Saint-Esprit âme du monde » ? Il est certain que cette dernière idée fut longtemps une des plus chères à Abélard et que les citations de Zénon, de Platon, de Virgile et de Macrobe donnent l’impression d’une conception spinosiste du monde. De unitate et Trin., édit. Stolzle, p. 10 ; Theol. christ., l. I, P. L., t. clxxviii, col. 1144-1166 ; Introductio, l. I, col. 1019-1030. Plus d’un de ses disciples accepta de fait les conséquences panthéistes de cette formule. Nous croyons cependant avec de Bémusat, Abélard, t. ii, p. 288, et Vacandard, Abélard, p. 238, que l’accusation de panthéisme formulée contre Abélard par Caramuel, Lobkowitz, Fesster et Bixner, n’est pas fondée. Du reste, dans la revision de sa Dialectica, part. V, édit. Cousin, p. 475, il rejeta expressément cette théorie du monde « animal immense, vivant d’une âme divine ». Amaury de Chartres ne relève donc pas de lui, comme on l’a dit, mais de Scot Érigène et surtout de Thierry de Chartres. Clerval, Les écoles de Chartres, p. 318.

3o Erreurs sur l’incarnation (art. 5, 4, 17, 18, 12). — 1. La théorie d’Abélard sur la personne de l’Homme-Dieu contient en germe le nestorianisme, sapit Nestorium, disait saint Bernard. Il accordait bien qu’il y a en Jésus-Christ une seule personne, Epitome, c. xxiv, P. L., t. clxxviii, col. 1732, et que le Christ, comme Verbe, est une personne de la Trinité, mais il niait que l’Homme-Dieu, ou même « cette personne qui est le Christ » soit une personne de la Trinité (art. 5). Cf. Apologia Ia Abailardi, dans l’édit. Cousin, t. ii, p. 730. Sans doute c’est ignorer la communication des idiomes, comme l’observe Vacandard, Abélard, p. 248, mais il y a de plus une conception erronée de l’union hypostatique qui pendant longtemps va troubler les écoles. D’après Abé-