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ANGE D’APRES LES PÈRES

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saient à Dieu, soit en leur exposant ce qu’ils avaient à faire, en les retirant de l’erreur et de la vie profane pour les remettre dans la voie droite de la vérité, soit en leur manifestant les ordres sacrés, les visions voilées des mystères suprasensibles ou quelques-unes des divines prédictions, ou encore le mystère divin de l’humanité de Jésus. De cœl. hier., iv, % 4, P. G., t. iii, col. 180, 181. Mais y a-t-il un ange particulièrement chargé de remplir auprès de chaque homme le rôle que le dernier ordre de la hiérarchie céleste remplit auprès des peuples en général ? Le Pseudo-Denys n’en parle pas, bien qu’il signale telle ou telle mission spéciale.

Comme le Pseudo-Denys, saint Grégoire le Grand parle de la mission des anges, de leur rôle auprès des hommes en général, mais il est muet sur la question de l’ange gardien. Quel que soit le motif de ce silence, il ne saurait infirmer l’enseignement de l’Évangile et de la tradition.

VIII. Culte des anges.

On lit dans la Bévue d’histoire et de littérature chrétiennes, t. iii, p. 550 (1898), article Angélologie, par M. J. Turmel, cette phrase : « Pendant les cinq premiers siècles, les docteurs réprouvèrent tout culte des anges. » Est-ce exact ? Nous ne le pensons pas, et voici pourquoi.

Saint Paul avait mis les Colossiens en garde contre la religion des anges. Col., ii, 18. Il condamnait avec raison les tendances d’origine juive ou païenne qui portaient les esprits vers un culte exagéré, superstitieux, idolâtrique, des anges. Après lui, les Pères durent s’appliquer à conjurer les dangers de la gnose, qui, en introduisant dans sa théogonie des séries d’éons, leur attribuaient des rôles fantastiques, capables de mettre en péril la foi des simples ; ils eurent aussi à prémunir les gentils convertis contre l’éventualité possible d’un retour au faux culte des génies. Aussi, toutes les fois qu’ils traitent du culte, ont-ils soin de spécifier que les anges sont exclus de celui qui n’est dû qu’à Dieu. Mais leur réserve prudente, sur la manière dont on peut honorer les esprits célestes, ne permet pas d’affirmer qu’ils réprouvèrent tout culte des anges.

En effet, saint Justin, pour prouver que les chrétiens ne sont pas des athées, signale le culte qu’ils rendent au Père, au Eils, à l’armée des anges, et à l’esprit prophétique. / Apol., vi, P. G., t. vi, col. 336. Athénagore, après lui et comme lui, repousse la même accusation d’athéisme. Légat., x, P. G., t. vi, col. 909. Eusèbe de Césarée constate le culte des anges. U existe, écrit-il, au service de Dieu des serviteurs puissants, des vertus qui sont des ministres, et, bien que nous leur rendions un culte convenable, xoaà Ttpo<jr)xov TiuûvTeç, c’est Dieu seul que nous adorons. Prsep. evang., vii, 15, P. G., t. xxii, col. 553. Parmi les esprits célestes, plusieurs, grâce à une salutaire dispensation, sont envoyés par Dieu auprès des hommes : nous avons appris à les connaître et à les vénérer, à raison de leur dignité et selon leur grade, tout en réservant à Dieu seul l’hommage de notre adoration, hem. evang., iii, 3, P. G., t. xxii, col. 193. Saint Ambroise dit formellement qu’il faut prier les anges. Obsecrandi sunt angeli pro nobis, qui nobis ad præsidium dali sunt. De vidui, , ix, 15, P. L., t. xvi, col. 251. « Saint Irénée, dit M. J. Turmel, est fier de pouvoir dire aux gnosliques que l’Eglise n’invoque pas les anges. » Loc. cit., p. 550. Voici le texte de saint Irénée, tel que nous le possédons dans la version latine : JVec invocationibus angelicis aliquid facit Ecclesia, nec incantationibus, necreliquapravacuriositate…Cont. hær., l. III, xxxii, 5, P. G., t. vii, col. 830. De quels anges est-il question ? Des anges au sens gnostique ou au sens chrétien ? Dans le premier cas, Irénée a raison : l’Eglise n’invoque pas les éons. Dans le second, il importe de savoir, par le contexte, à quel propos il tient ce langage. Les gnostiques, par leurs prestiges, en imposaient aux simples.

Irénée leur oppose les miracles chrétiens. Or ceux-ci, remarque avec insistance Irénée, ne sont opérés qu’au nom de Jésus-Christ. II s’agit donc de l’intervention du nom de Jésus-Christ dans l’accomplissement des miracles. En pareil cas, l’Église n’a pas recours à des invocations angéliques : c’est tout ce que dit Irénée. Grabe, dépassant le sens du contexte, a eu tort de prétendre que, d’après ce passage, les invocations des anges n’étaient pas usitées dans l’Église. Il aurait dû ne pas recourir à une interprétation que rien n’autorise, s’en tenir au sens obvie, se contenter de dire que l’Église n’invoque pas les anges pour l’accomplissement des miracles et qu’elle n’a pas recours, comme les gnostiques, à des incantations ou à tout autre moyen condamnable ; car c’est la pensée de saint Irénée : Sed munde, et pure, et manifeste oraliones dirigens (Ecclesia) ad Dominum, qui omnia fecit, et nomen Domini nostn Jesu Christi invocans, virtutes ad vtilitates hominum, sed non ad seduclionem, perjicit. Ibid.

Origène, que M. Turmel ne cite pas, a le droit d’être entendu. En réponse à certaines objections de Celse, il affirme d’abord l’existence des anges ; puis, parlant de leur rôle, il ajoute : s’ils montent au ciel, c’est pour y porter nos prières ; s’ils en descendent, c’est pour nous en rapporter les dons que Dieu nous envoie selon nos mérites. Et bien qu’ils soient parfois appelés dieux dans l’Écriture, il n’existe cependant nulle part un commandement qui nous oblige à leur offrir le culte dû à Dieu. Cont. Cels., v, 5, P. G., t. xi, col. 1185. Il n’est pas raisonnable de les invoquer, àyyéXouç yàp /aXéuat… oùx e-j’Xot-ov. Car nous ne devons offrir nos prières qu’à celui qui suffit à tout, à Dieu, par notre Sauveur, le Fils de Dieu. Ibid. Remarquez qu’il ne s’agit ici que de l’intermédiaire officiel et autorisé entre Dieu et l’homme, et que cet intermédiaire n’est autre que Jésus-Christ. Ainsi précisée, la question ne saurait avoir d’autre solution que celle que lui a donnée Origène. Mais ce culte dû à Dieu, et qui doit passer par Jésus-Christ, exclut-il tout autre culte, d’ordre inférieur, vis-à-vis des anges ? Nullement ; car Origène constate que même les anges offrent nos prières à Dieu. Le culte des anges qu’il interdit, celui qu’il réserve à Dieu seul, est celui de la Ôpedxet’a, Cont. Cels., viii, 13, P. G., t. xi, col. 1533-1536, celui de la npoax’jvvjiTc ; , de la Xarpeta. Cont. Cels., viii, 57, col. 1601. Le culte qu’il reconnaît, c’est celui de la ŒpaTTEia, et encore faut-il bien l’entendre. Ces anges, préposés qu’ils sont aux fruits de la teire, à la génération des animaux, nous les louons, nous les proclamons bienheureux, vl>yr l Lovu.zv xa u-axapî^op-ev ; car Dieu leur a confié ce qui est utile à notre espèce ; mais nous leur refusons le culte qui n’est dû qu’à Dieu. Ibid., col. 1603. Origène admet donc un certain culte des anges : ce n’est pas, ce ne peut pas être celui qui est réservé à Dieu ; mais c’est un culte de louange, de gratitude, légitimé par leur sainteté, par le rôle qu’ils remplissent auprès de Dieu en notre faveur, les services qu’ils nous rendent, les bienfaits qu’ils nous apportent. Et c’est pourquoi Origène lui-même a soin d’invoquer l’ange du baptême. In Ezech., homil. i, 7, P. G., t. xiii, col. 675. « Au ive siècle, ajoute M. Turmel, un concile de Laodicée condamne solennellement les pratiques de dévotion en l’honneur des anges. » Loc. cit., p. 550, et, en note, le canon 35. Malheureusement la citation de ce canon est écourtée. A Laodicée (entre 343 et 381), dans cette partie de la Phrygie, où les esprits étaient encore si enclins à un faux scepticisme et couraient risque, en exagérant l’hommage rendu aux anges, de glisser dans l’idolâtrie et de perdre de vue le Christ, le canon 35 condamne, en effet, sous peine d’anathème, le chrétien qui abandonne l’Eglise, s’en détourne pour invoquer les anges et tenir des réunions. Mais le motif ? Il est assez caractéristique pour ne pas l’omettre. C’est parce que, en agissant de la sorte, le chrétien se rend coupable d’une