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MESSE DANS L'ÉCRITURE, L’EPITRE AUX HEBRKI


Parce que nous n’avons pas ici de cite permanente. Les épreuves ne durent qu’un temps, et il n’y a pas lieu de s’attarder en une Jérusalem dont nous devrons un jour sortir. Au contraire, nous aspirons à la cité qui doit venir, au ciel où est Jésus, xui, 14. Par lui donc, SC aÙTO’j ouv, offrons à Dieu un sacrifice de louange en tout temps, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui rendent twmmage à son nom. xiii, 15. Ne négligez pas la bienfaisance et la mutuelle charité. Car c’est à ces sacrifices que Dieu prend plaisir, xiii, lfi.

A coup sur, non seulement pour quiconque nie le caractère sacrificiel de l’eucharistie, mais pour les exégètes qui se refusent à le voir attesté en ce passage, la tentation est toute naturelle d’exploiter ces déclarations et de dire : l’unique hostie du chrétien, ou' du moins la seule’dont parle l'Épît re aux Hébreux, la seule qui soit agréable -à. Dieu, c’est celle de leur âme : prière et charité.

Mais pour trouver cette affirmation dans le texte, il faut l’y mettre. L'épître parle en effet du sacrifice de louange. Elle donne le même nom à la bienfaisance et à la communion ou amour mutuel, et elle déclare qu’en ces oblations se complaît le Seigneur. Mais nulle part il n’est dit que nos prières et no ? actes de charité sont les seuls sacrifices des chrétiens.

Pour bien saisir la pensée, il importe de ne rien ajouter, de ne rien retrancher. L'épître a donné ce conseil : quittons le camp, le judaïsme, afin d’aller à Jésus victime expiatoire et de nous diriger ainsi vers la cité future où il habite et à laquelle nous aspirons. La lettre ajoute : Par lui donc offrons à Dieu un sacrifice de louange en tout temps. Ainsi la prière recommandée n’est pas celle du fidèle laissé à lui-même. Il est invité à faire passer sa louange par Jésus, médiateur du Nouveau Testament, grand prêtre des chrétiens, pontife éternel, toujours vivant, afin d’intercéder en faveur de ceux qui par lui vont à Dieu, vii, 25. On le voit, la pensée s’harmonise pleinement avec les thèmes généraux développés dans la lettre.

On peut sans doute admettre que le sacrifice de louange, mentionné ici, est toute prière du chrétien présentée à Dieu par le Christ. Elle est en un certain sens un sacrifice, puisqu’elle constitue une offrande faite au Très-Haut. Déjà un psaume faisait dire à Jahvé ces mots : « Est-ce que je bois le sang des boucs ? Offre en sacrifite l’action de grâces… Celui qui offre en sacrifice l’action de grâces m’honore. » Ps. xlix (Vulg.), 14, 23. Ainsi encore d’après les Septante, Osée invitait Israël à offrir le fruit de ses lèvres, xiv, 3. Ce langage est à la lettre celui qu’on retrouve dans l'Épître aux Hébreux : « … Offrons à Dieu un sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui rendent gloire à son nom. » xiii, 15. Plus qu’aucune autre, la prière du chrétien peut être appelée une ablation. Pour parvenir à Dieu, ne passe-t-elle pas par le pontife de la nouvelle Loi, n’est-elle pas ainsi unie à l’offrande qu’il fait de son sang ?

De même, la charité par laquelle l’homme se dépouille et se prive de ses biens en faveur de ses semblables pour plaire au Très-Haut mérite d’une certaine manière le nom de sacrifice. Plus d’une fois déjà, les livres de l’Ancien Testament l’avaient reconnu en des termes qui ressemblent à ceux de l'épître. Citons seulement ce passage : « Rendre grâces, c’est une ablation de fleur de farine et pratiquer la miséricorde, c’est offrir un sacrifice de louange. Ce qui plaît au Seigneur, c’est qu’on s'éloigne du mal. » Eccli., xxxv, 3-5.

L'Épître aux Hébreux demanderait donc aux fidèles sortis du judaïsme « de ne pas oublier, xiii, 16, les plus beaux conseils de l’Ancien Testament, les plus voisins de l'Évangile, mais elle ajouterait que, devenus chrétiens, les Israélites de la veille doivent faire passer par Jésus ces hymnes de louange, ces sacrifices du

cœur. Il n’y a dans cette recommandation ainsi entendue rien qui soit incompatible avec l’existence d’un aul l dont les fidèles ont le droit de manger. De nos jours encore, les prêtres catholiques ne croient pas se contredire et en fait ne s’infligent aucun démenti quand, après avoir conseillé aux fidèles d’assister au sacrifice eucharistique et d’y communier, ils les exhortent à la piété et à l’affection mutuelle. Plus d’une fois il leur arrive d’employer les expressions même de l'épître et de presser les chrétiens d’offrir à Dieu leurs louanges par le Christ, de présenter au Très-Haut le sacrifice d’un cœur contrit et humilié, ou encore de consacrer, d’immoler à leurs frères leur temps et leur travail, leur fortune et leur cœur.

Cette interprétation n’est pas irrecevable. Mais on peut aussi, sans forcer le sens du texte, soutenir que le sacrifice de louange recommandé ici est l’eucharistie. Plusieurs commentateurs anciens et modernes l’ont pensé. Voir De la Taille, op. cit., p. 198 sq., qui nomme Van Galen, Salmeron, L. Tena, Corneille de la Pierre, le commentaire inséré dans le Cursus Scriptural sacras de Migne. Tel paraît bien être aussi le sentiment de Drach, op. cit., p. 798. Des non-catholiques mêmes tiennent cette opinion pour soutenable, comme l’a remarqué Goetz, Die heutige Abendmahlsfrage in ihrer geschichllichen Enlwicklung, Leipzig, 1907, p. 195197.

La supposition n’est pas gratuite. La lettre affirme dans une phrase précédente que les chrétiens ont un autel, elle parle ici de leur sacrifice. Comment ne pas rapprocher ces mots, le OuataoTT/piov et la 8uaia ? D’autre part, deux des thèses les plus importantes de l'épître, thèses non seulement énoncées plus d’une fois mais longuement établies, affirment que le Christ est l’unique pontife de la nouvelle Loi, l’unique victime agréable au Très-Haut. La phrase offrons à Dieu par lui un sacrifice de louange peut très bien signifier : Présentons au Très-Haut par l’unique grand prêtre l’unique victime, son corps et son sang. Le mot donc, oùv, qui accompagne l’invitation « par lui donc offrons », s’explique alors bien mieux. Il vient d'être observé que les chrétiens ont un autel : donc qu’ils s’en servent. Il a été rappelé que Jésus a versé son sang pour purifier son peuple ; donc présentons ce sang par lui à Dieu. On le voit, cette exégèse a le mérite de relier davantage entre elles les propositions voisines et qu’on n’a pas le droit de dissocier les unes des autres. Elle s’accorde fort bien avec les doctrines caractéristiques de l'épître. Elle donne aux mots une minutieuse justesse et une véritable plénitude de sens.

Le mot sans cesse, Sià TCavToç, ne fait pas obstacle à cette interprétation. Sans doute il est recommandé d’offrir en tout temps le sacrifice dont il est ici parlé. Or l’eucharistie peut être célébrée non seulement une fois comme la Pâque juive, mais elle l'était alors chaque dimanche au moins, ou peut-être même plus souvent, toutes les fois qu’une occasion favorable se présentait. Le mot « en tout temps » ne signifie évidemment pas que le sacrifice de louange par le Christ doit être offert sans interruption. D’ailleurs, même si on entend cette locution non de l’eucharistie, mais de l’aumône et de la prière individuelle du chrétien, on convient que la lettre n’ordonne pas de les faire à tout instant du jour et de la nuit.

La phrase qui suit ne s’oppose pas davantage à cette manière d’entendre le texte, peut-être même la recommande-t-elle. « Offrons, est-il dit, un sacrifice de louange à Dieu, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui rendent hommage à son nom. » Les interprètes rapprochent volontiers ces mots de la parole du prophète Osée déjà reproduite, et qui se lit ainsi dans les Septante : « Dites au Seigneur votre Dieu… nous vous donnerons en retour le fruit, de ncs lèvres. » xiv, 3. Or,