Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.1.djvu/430

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
845
846
MESSE DANS L’ECRITURE. LEPITRE AUX HÉBREUX


la cène chrétienne était instituée en mémoire de Jésus pour attester la nouvelle alliance et la rémission des péchés. Matth., xxvi. 2C>-28 : Marc, xiv, 24 ; Lue., xxii. 19^20. A aucun autre moment, nulle part ailleurs, les lèvres des fidèles ne louent davantage et avec plus de piété le Très-Haut. C*est par cet acte qu’on célèbre le mieux ses bienfaits. Aussi, de très bonne heure, l’eucharistie fut appelée l’action de grâces, le sacrifice de louange. Et c’est en la célébrant que les fidèles s’unissent pour glorifier Dieu. On comprend donc que, pour la recommander, l’Apôtre ait écrit ces mots : Par le Christ offrons à Dieu le corps et le sang de Jésus, sacrifice de louange, c’est-à-dire fruit de nos lèvres qui rendent hommage au Très-Haut. Certains commentateurs ont même fait observer que, l’eucharistie s’opérant par la répétition des mots du Christ à la cène, elle est bien le produit, l'œuvre des paroles prononcées au milieu des prières qui glorifient Dieu. Si donc l'épître parle d’elle ici, on s’explique fort bien qu’après l’avoir nommée sacrifice de louange, elle l’appelle le fruit des lèvres qui rendent hommage au nom du Seigneur. Il n’est pas jusqu'à la recommandation faite aussitôt après de pratiquer la bienfaisance et la charité mutuelle qui ne semble plus opportune. Déjà l'épître a loué cette vertu ; il semble bien qu’elle ait tout dit en posant cette règle : « Persévérez dans l’amour fraternel. » xiii. 1. Elle a même signalé plusieurs applications touchantes de ce principe : « N’oubliez pas l’hospitalité. Quelques-uns, en la pratiquant ont, à leur insu, logé des anges. Souvenez-vous des prisonniers comme si vous-mêmes étiez prisonniers et de ceux qui sont maltraités, puisque vous êtes vousmême dans la chair. » xiii, 2-3.

Pourquoi donc la lettre parle-t-elle de nouveau de la charité? Pourquoi le fait-elle en une simple phrase qui se place sans aucune transition après un conseil de piété? Pourquoi appelle-t-elle cette vertu un sacrifice, une Ouata, lorsqu’elle a enseigné qu’il n’y a pour les fidèles qu’une seule victime ? Autant il est difficile de répondre à ces questions, si on croit que la prière ici recommandée est la supplication individuelle du chrétien par Jésus, autant il est aisé de tout expliquer, si on admet qu’en cet endroit l'épître parle de la cène chrétienne, du sacrifice eucharistique. Car les documents les plus anciens nous apprennent qu’on y faisait une collecte, des offrandes et qu’en certains milieux, à Corinthe par exemple, le repas du Seigneur était lié à un banquet fraternel. On comprend alors que l'épître en parlant de l’eucharistie ait donné au lecteur un conseil : quand vous prenez part à ce grand acte, « n’oubliez pas la bienfaisance et la charité mutuelle ». Soyez généreux à la collecte. Par cette aumône, et peut-être aussi par le repas fraternel, mettez en commun, xowwvtoc, vos biens et vos vies. Cette conclusion est alors des plus naturelles. Sans doute l’aumône a été appelée un sacrifice déjà dans l’Ancien Testament, voir plus haut ; mais elle l’est surtout lorsque par elle le fidèle unit son offrande à l’oblation eucharistique, lorsqu’il présente à Dieu son aumône avec le sang de l’unique victime. A la lettre, elle est alors un sacrifice agréable à Dieu.

Rapprochées les unes des autres, toutes ces remarques donnent une réelle valeur à l’opinion qui voit dans cette partie de l'épître une mention du sacrifice eucharistique, et c’est avec raison, semble-t-il, qu’un auteur non catholique écrivait : « Il pourrait bien y avoir ici, comme Spitta l’a remarqué, une allusion à la cène considérée comme sacrifice, car la notion de sacrifice fut à la cène, de bonne heure déjà, étroitement unie avec ce dont il est parlé ici, la confession du nom de Jésus, la louange et l’action de grâces, la bienfaisance et la charité mutuelle. » Goetz, op. cit., p. 196-197.

Que fait le Christ au moment où s’opère l’eucharistie ? L'Épître aux Hébreux répond à cette question en des termes qui ne laissent place à aucune équivoque.

Elle l’enseigne et le démontre : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de sacrifice au ciel. Parce que l’oblation de Jésus fut unique, elle doit le rester. La thèse contraire des sociniens se heurte non pas à un mot, à une phrase isolée, mais à une doctrine fondamentale qui est au cœur même de la lettre, et qui dans le système théologique de l’auteur apparaît comme la pièce maîtresse.

Longuement, avec complaisance, sans craindre de descendre jusqu’aux menus détails, l'épître compare la mort du Christ au grand rite de l’expiation annuelle du Yom Kippour. « Une fois l’an, le grand prêtre juif entre dans la deuxième tente, dans la seconde partie du tabernacle », ix, 7, dans le Saint des Saints où au milieu de son peuple trône la majesté divine. S’il peut y pénétrer, c’est « parce qu’il porte du sang offert par lui pour ses propres péchés ainsi que pour ceux du peuple ». ix, 7. Il en asperge le propitiatoire d’or où entre les chérubins Jahvé a fixé en Israël le trône de sa majesté. Mais, parce que le sang des animaux ne peut que « procurer la pureté de la chair », ix, 13, parce qu’il est « incapable d’enlever les péchés », x, 4, il est nécessaire de renouveler ce rite chaque année, x, 1-4. Aussi grands prêtres et victimes se succèdent sans cesse pour le renouvellement périodique d’une expiation qui est toujours à recommencer.

Au contraire, les chrétiens ont pour pontife suprême Jésus « qui ne meurt pas », vii, 24 et qui « parfait, n’a pas besoin de sacrifier d’abord pour ses fautes personnelles ». vii, 27. Il a offert l’unique victime agréée de Dieu, son propre corps, x, 1-10. Puisque cette oblation fut elle-même excellente, puisque le Christ ne peut être mis à mort plusieurs fois, puisque son sacrifice a du premier coup « donné le pardon », x, 18, « purifié les consciences », ix, 14, « aboli le péché », ix, 28, « réalisé l’alliance », x, 15-16, « obtenu la rédemption éternelle. » ix, 12, « rendu parfaits ceux qu’il a sanctifiés », x, 14, l’oblation ne peut, ne doit pas être réitérée. C’est la conclusion à laquelle aboutissent tous les raisonnements et l'épître ne se lasse pas de la répéter, vii, 27 ; ix, 12-15, 25-28 ; x, 1-3, 10, 12, 14.

Par sa mort, une fois pour toutes Jésus est entré dans le véritable sanctuaire dont le Saint des Saints d’Israël n'était que l’ombre et la figure. Avec son sang il a pénétré dans le ciel, il ne s’y trouve pas pour un instant comme jadis le grand prêtre passait dans la seconde tente. A jamais le Christ demeure près de Dieu et ainsi tout est consommé, parce que tout est parfait : prêtre et victime, oblation et efficacité.

Dire avec les sociniens que Jésus n’a pas été prêtre ici-bas et qu’il s’est offert à Dieu seulement au ciel, est « manifestement contraire à la doctrine » de la lettre aux Hébreux. D’autre part, imaginer, sans nier la valeur du sacrifice de la croix, un second sacrifice distinct et différent du premier par le mode d’oblation, rêver d’un sacrifice céleste proprement dit, c’est une thèse « qui n’a pas dans notre épître le moindre fondement ». Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 537 ; Lamiroy, op. cit., p. 221-227 ; De la Taille, op. cit., p. 178-179 ; D’Alès, dans Recherches de science religieuse, avril 1927, p. 178. Aussi les meilleurs parmi les théologiens qui emploient ce mot de sacrifice céleste, n’hésitent pas à le reconnaître. Non seulement il n’y a pas au ciel « une oblation réellement distincte de celle de la croix et de la vie terrestre », non seulement l’intercession de Jésus après sa mort n’appartient pas essentiellement au sacrifice rédempteur, mais elle n’en est même pas « partie intégrante ». Il faut tenir ce langage si on veut que l’unité de l’oblation reste sauve et que » l’immolation