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MESSE DANS LES PLUS ANCIENS TEXTES : LA DIDACHÈ


côté des prières qu’improvisaient le prophète ou l'évêque et qui étaient autant de variations sur un thème consacré, il pouvait y avoir des prières qui étaient dites au nom du peuple par l’officiant, et auquel le peuple s’associait de cœur, même s’il ne les récitait pas publiquement. Il convenait donc de les insérer dans un recueil composé pour les simples fidèles.

i. La première formule dite par les assistants parle « de la vigne de David ». Il est donc d’abord rendu grâces pour la coupe, ix, 1. Pourquoi cet ordre est-il suivi ? On a proposé diverses réponses : Le récit de saint Luc qui signale deux coupes commence par la bénédiction de l’une d’elles. Saint Paul, I Cor., x, 16, parle du calice avant de nommer ! e pain. La cérémonie du sabbat, le vendredi soir, commençait par la bénédiction d’une coupe de vin. C’est le rite du kiddùs. Puis venait le repas du soir lequel, après J 'ablution des mains, débutait par une bénédiction du pain. L’eucharistie se plaçait à la fin d’une agape, etc.

Le fait est moins important qu’on ne serait d’abord tenté de le croire. En effet, dans le même chapitre, quelques lignes plus loin, la Didachè suit l’ordre ordinaire : « Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie ! » ix, 5. — « Maître tout-puissant, … tu as donné aux hommes la nourriture et la boisson… A nous tu as fait largesse d’un aliment et d’un breuvage. » x, 3. De même saint Paul qui, dans le récit de l’institution, place le pain avant le viii, I Cor., xi, 23-29, suit l’ordre inverse, dans une argumentation que donne la même lettre. I Cor., x, 16-21. Il ne s’agit pas d’ailleurs ici du rite qu’accomplissent les ministres liturgiques, mais des paroles que prononcent les assistants.

Voici ces mots : « Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la sainte vigne de David, ton serviteur, que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. » Suit immédiatement la doxologie : « A toi la gloire dans les siècles ! » ix, 2. On a rapproché cette formule de celle de la bénédiction du vin au kiddùs : « Sois loué, Éternel, notre Dieu, roi de l’univers, créateur du fruit de la vigne », qu’on trouve dans la Mischna, Berachoth, vi, 1. Voir Klein, Die Gebete in der Didachè, dans Zeitschrijt fur die N. T. Wissenschaft, 1908, t. ix, p. 131. En réalité, il n’y a rien de commun entre les deux prières, si ce n’est le mot vigne.

Le texte de la Did ichè est tout à fait chrétien. Dieu y est appelé « notre Père », comme dans l’Oraison dominicale. Quant aux mots « vigne de David », ils rappellent le ps. lxxx, 9-20. On peut donc admettre que Dieu est remercié d’avoir révélé à la communauté chrétienne le sens messianique de ce texte de l’Ancien Testament. Lietzmann, op. cit., p. 233.

Mais c’est surtout le Nouveau qui permet de comprendre la prière de la Didachè : D’après l'évangile de saint Jean, Jésus est la vigne, xv, 1, 4, 5, vigne sainte, car, si on lui est uni, on porte du fruit, xv, 5. Les premiers chrétiens estimaient « qu’une onction l’avait consacré. ». Act., iv, 27. Il était pour eux « le saint serviteur de Dieu ». Act., iv, 30 ; iii, 13, 26. Enfin l’Apocalypse le nomme le rejeton et le fils de David, xxii, 16. Qu’on unisse ces trois termes et on obtient la phrase de la Didachè : « La sainte vigne de David. » Il s’agit donc de Jésus.

Mais la phrase ne peut se ramener à la suivante : « Nous te rendons grâces pour Jésus ton serviteur que tu nous a fait conna tre par Jésus ton serviteur. » Il faut aller plus loin si on veut donner à cette prière un sens. Le vin est appelé par l'Écriture le sang de la grappe. Gen., xlix, 11. Il est donc naturel de croire que cette sainte vigne de David pour laquelle les fidèles font action de grâces, c’est le sang du Christ.

D’après le quatrième évangile, Jésus ne révèle-t-il pas qu’il est le cep, au cours ou à la suite du repas d’adieu dans lequel il tint la promesse de donner sa chair à manger et son sang à boire ? vi, 53, 54, 55, 56. — Déjà dans la plus haute antiquité ce rapprochement était connu. Clément d’Alexandrie compare le vin que produit le raisin avec le sang de Jésus, Psedag., v, 15, P. G., t. viii, col. 267 ; et il désigne comme le vin que le Christ versa pour nos âmes blessées, le sang de la vigne de David. Quis dives, xxix, t. ix, col. 633. Voir encore Origène, Homil. in Jud., vi, 2 : « Avant que nous soyons enivrés du sang de la vraie vigne qui vient de la racine de David. » P. G., t. xii, col. 957. Il faut donc comprendre ainsi la prière de la Didachè : « Nous te rendons grâces pour le sang sacré de Jésus ton serviteur que tu nous a fait connaître par Jésus ton serviteur. » Struckmann, Die Gegenwart Christi, p. 11.

Cette phrase s’explique fort bien à ce moment. L’officiant vient de bénir la coupe, il a rappelé la parole de Jésus : « Ceci est mon sang. » Donc, il est tout naturel que les assistants répondent : « Nous te remercions, ô notre Dieu, pour le sang de Jésus que tu nous as fait connaître par les propres paroles de Jésus. » Il n’est pas jusqu'à la doxologie : « A toi la gloire dans les siècles », qui ne se retrouve dans les écrits du Nouveau Testament : Rom., xi, 36 ; Gal., i, 5 ; Phil., iv, 20, II Tim., iv, 18 ; Hebr., xiii, 21.

I. Suit une formule d’eucharistie pour le pain rompu, ix, 3 : « Nous te rendons grâces, ô notre Dieu, disent les assistants, pour la vie et la science que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur ». Suit immédiatement la même doxologie : « A toi la gloire dans les siècles. »

Cette fois encore on ne peut que constater combien ce texte est différent de celui des bénédictions juives prononcées sur le pain à l’ouverture du sabbat. Klein, op. cit., p. 135-136. « Sois loué, Éternel, notre Dieu, roi de l’univers, qui fais produire le pain à la terre. » Mischna, Berachoth. vi, 1. Comme le dit Lietzmann, de tels rapprochements il n’y a pour ainsi dire rien à tirer. Op. cit., p. 231, n. 1.

De nouveau, demandons aux écrits du Nouveau Testament le sens de la prière de la Didachè. Ici encore, Dieu est appelé comme dans l'Évangile notre Père. Une seconde fois, il est dit que Jésus son serviteur nous a fait connaître un don. Puisque précédemment il a été parlé de la révélation par le Christ de son propre sang par ses paroles, la symétrie des phrases semble exiger que cette fois il soit fait allusion aux mots du Christ par lesquels il montre dans le pain son corps. C’est ce que confirme l’examen des paroles prononcées par les fidèles : « Nous te rendons grâces pour la vie et la science. » La chair du Christ est appelée dans le IVe évangile le pain de vie, vi, 49, la pain vivant, vi, 51, le pain qui donne la vie, vi, 51, 53, 51, 57, 58. Et cette vie, dit Jésus d’après saint Jean, consiste à connaître le Père et celui qui l’a envoyé, xvii, 3, la vie c’est la gnose.

Si donc, au cours de la fraction, les mots « Ceci est mon corps » ont été prononcés par l’officiant, on comprend que les fidèles fassent maintenant action de grâces à Dieu le Père pour la vie et la science qu’il leur a révélées par Jésus son serviteur, lorsque celui-ci offrit aux hommes sa chair à manger. Une doxologie pareille à celle qui a déjà été étudiée sépare cette prière de la suivante.

À Les fidèles adressent alors pour l'Ég’ise une supplication que suggère la pensée de la fraction des morceaux de pain dissociés puisréunis. Il est intéressant de relever ici la plus ancienne forme d’une prière liturgique pour l'Église. Il semble donc bien qu’un des effets attendus de la synaxe eucha-