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MICHEL CÉRULAIRE, ÉCHANGE DE LETTRES


Constantinople, le métropolite bulgare n’avait pu agir que de concert avec celui-ci, et n’était en définitive que son porte-parole. On ne s’y trompa pas en Occident où la lettre sera toujours considérée comme provenant de Cérulaire. Jean, le destinataire, était évêque de Trani. Située dans le thème des Lombards, cette ville était encore politiquement au pouvoir des Byzantins, mais au point de vue ecclésiastique elle n’avait pas cessé de relever de Rome et suivait dès lors les usages latins. Par ailleurs Jean était l’ami d’Argyros, pour lors en pleine préparation militaire, et préoccupé d’assurer sa jonction avec la petite armée pontificale rassemblée par Léon IX. Texte de la lettre dans P. G., t. cxx, col. 836 sq.

Étrange missive en vérité que cette lettre du métropolite bulgare ! Elle se donne comme une invitation à négocier et elle a les allures d’un ultimatum, presque d’une déclaration de guerre. Elle veut expliquer aux Latins quels obstacles s’opposent encore à l’union, et elle le fait de manière à rendre dorénavant toute union impossible. Aussi bien elle ne s’adresse pas exclusivement à Jean de Trani, mais par son intermédiaire à tous les chefs religieux des Francs, 7Tp6ç rcâvraç toùç àpxtspsïç tôv Opâyycov, et au révérendissime pape. Écrite par charité pour Dieu, en même temps que par sympathie pour les destinataires, elle doit attirer l’attention des Latins sur l’indécence de leurs pratiques, qui sont le grand obstacle à l’accord définitif entre les deux peuples et les deux Églises. Ces pratiques, à savoir l’usage des azymes et le jeûne du samedi, assimilent en elïet les Latins aux Juifs, et empêchent donc pour l’instant toute communicatio in sacris.

Cette thèse posée, la démonstration suivait, rapide d’ailleurs, que seul l’usage du pain fermenté dans l’eucharistie correspondait à l’institution du Christ, et que d’autre part le fait d’observer le jeûne du samedi mettait les Latins (on ne voit pas trop pourquoi) à la remorque d’Israël. Puis la lettre visait l’usage que se permettaient les Latins, contrairement au précepte apostolique, des viandes non saignées, rcvixTà olç xà alfxa aÙTOÛ auyxsxpaTai, la coutume aussi de supprimer V Alléluia en carême, toutes erreurs considérables qui, loin de se justifier par l’autorité de Pierre et de Paul, mettaient leurs partisans en contradiction tant avec les apôtres, qu’avec la doctrine des sept conciles œcuméniques. « Redressez-vous, continuait le document, corrigez vos erreurs, abandonnez aux Juifs et les azymes et l’observance du sabbat, aux infidèles et aux barbares l’usage des viandes étouffées, pour vous mettre d’accord avec nous dans la véritable orthodoxie, et pour qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau sous la conduite du Christ. Car lui, il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se repente et qu’il vive. » Sans doute l’évêque de Trani est-il déjà dans ces idées ; il les a fait partager à son peuple, s’est efforcé de les propager ; qu’il continue cette action en s’adressant toujours plus loin, toujours plus haut. Alors il sera digne de recevoir de plus amples confidences et, sans doute, des propositions plus précises de paix.

Tel est ce document désormais fameux. Si vraiment il voulait être une invitation à négocier, il ne pouvait ê1 re plus malhabile. Mais le supposer, ce serait admettre chez Cérulaire une dose de sot lise et de fatuité que sa conduite ultérieure ne permet guère d’imaginer. Les porte-parole de la chrétienté grecque s’y présentent non pas même en égaux des chefs de l’Eglise latine, mais en docteurs irréfragables qui gourmandent avec morgue, font la leçon de très haut, se donnent comme les uniques détenteurs de la vérité, et n’entreront en rapport avec les Latins que si ces derniers viennent humblement à résipiscence. Sans doute on ne voulait

pas la mari du pécheur, mais il fallait que, sans tarder, le pécheur reconnût ses torts. Et quand l’on songe à

la mesquinerie des griefs faits au Latins, l’étonnement croît encore. C’étaient donc là les erreurs énormes des Occidentaux, et qui empêchaient, tant qu’elles n’auraient pas été rectifiées, toute union entre eux et leurs frères d’Orient ! et la fin de la lettre faisait prévoir une nouvelle liste d’exigences ! Vraiment, à tout bien considérer, en faisant toute la part voulue à l’importance que pouvaient avoir aux yeux de Grecs minutieux des divergences disciplinaires et cultuelles bien anodines à notre gré, on ne peut échapper à cette conclusion : les auteurs de la lettre voulaient la rupture. Ils étaient assurés à l’avance que cet ultimatum paraîtrait injurieux à Rome, qu’il serait repoussé avec hauteur. Ils auraient dès lors une réponse toute prête aux demandes du basileus. L’union, ce n’étaient pas eux, c’était Rome qui la rendait impossible !

4° La riposte de Rome, le premier mémoire de saint Léon IX. — Les choses faillirent tourner en effet comme Cérulaire, selon toute vraisemblance, le désirait. La première réaction de Rome fut extrêmement vive, et si elle avait pu se manifester à temps, nul doute que l’affaire n’eût pris dès l’abord la plus fâcheuse tournure pour les intérêts de l’union.

L’homme qui dirigeait pour lors la chancellerie romaine était le cardinal Humbert dont l’importance à la cour pontificale a été bien mise en évidence par de récents travaux. Voir Léon IX (Saint), col. 323. C’est à lui que Jean de Trani avait remis la lettre de Léon d’Achrida, lui qui l’avait traduite en latin, lui qui, à coup sûr, fut chargé par le pape de préparer la réponse. Cette réponse, s’est conservée. Saint Léon, Epist., c, P. L., t. cxliii, col. 744-769 : In terra pax hominibus. L’analyse très fouillée, tant au point de vue du style qu’au point de vue des idées, qui vient d’en être faite par M. Ant. Michel, démontre à l’évidence que le cardinal a bien été le rédacteur de la lettre. Op. cit., p. 43 sq. ; voir les tableaux de comparaison avec divers écrits d’Humbert, p. 66 sq. " Il va sans dire que ceci ne diminue en rien l’autorité du document. En le signant pour le transmettre à Constantinople, le pape l’aurait fait sien, et il aurait engagé sa responsabilité. Nous verrons d’ailleurs qu’en réalité ce fut une autre pièce qui fut communiquée aux Orientaux. Celle-ci n’en mérite pas moins de retenir l’attention.

Les caractéristiques essentielles en ont été données à l’art. Léon IX (Saint). Retenons seulement que ce long manifeste adressé à l’évêque de Constantinople et à celui d’Achrida, se borne à la démonstration générale de l’autorité de l’Église romaine, de sa prééminence dérivée tant du droit divin que du droit humain (donation de Constantin), de son infaillibilité dans les questions doctrinales, n. 32, col. 765. Avec une âpreté qui va parfois jusqu’à l’invective, il fait le procès des misérables prétentions de Constantinople, auxquelles il oppose les trop nombreuses défaillances intellectuelles ou morales de beaucoup de ses chefs spirituels. Pourtant l’Église de Constantinople est la fille de l’Église romaine : or, voici que la tille’, sans respect pour les cheveux blancs de sa mère, la provoque comme en un combat singulier, n. 21 et sq., col. 761-763, triste entreprise et qui risque d’attirer sur la fille insolente la malédiction divine. Dès que l’on s’élève en effet contre l’autorité de l’Église romaine, c’est la destruction même de la chrétienté que l’on machine, n. 36, col. 767. L’auteur de la lettre n’abandonnait cependant pas tout espoir d’une solution pacifique ; confiant en l’intervention du basileus. Il se liai lait que la cité « gardée de Dieu » saurait au besoin se séparer des mauvais bergers, n. 31 : il escomptait davantage encore : une soumission filiale du patriarche lui-même. C’est avec la tendresse d’un père et l’affection d’un frère, paterna pietate ac ger-