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MESSE DANS L'ÉGLISE BYZANTINE, CONTROVERSES


deux personnes. Si l’on dit que c’est la nature humaine du Christ qui a offert et sa nature divine qui a reçu, cette séparation des natures ne se conçoit guère sans qu’on attribue à chacune une personnalité. Ainsi raisonnait Sotérikhos dans un petit dialogue qui nous a été conservé par Nicétas Akominatos dans son Trésor de l’orthodoxie, t. XXIII, P. G., t. cxl, col. 140148, et Mai", Spicilegium romanum, t. x, Rome, 1844, p. 3-15.

Quelques prélats et théologiens, parmi lesquels on nomme le métropolite de Dyrrachium, Eustathe, le prédicateur Basilakis, un certain Michel de Thessalonique, parurent se ranger à cette opinion. Mais la grande majorité des évêques présents à Constantinople et la plupart des théologiens, clercs ou laïques, affirmèrent que le sacrifice de la croix avait été offert à la Trinité tout entière, Père, Fils et Saint-Esprit. Pour réfuter Sotérikhos, on fit appel au passage de la messe byzantine que nous avons cité plus haut, où il est dit qu'à la messe Jésus-Christ est à la fois celui qui offre, celui qui est offert et celui qui reçoit, Su si ô TTpocrqjîpwV' xat Tîpoa<psp6[i.svoç xat TrpoaSs^ôaevoç. C’est ainsi que du sacrifice de la croix la controverse passa au sacrifice de la messe. Sotérikhos chercha à répondre à l’objection, et interpréta ainsi le texte liturgique : Jésus offre ceux qui sont sauvés par lui. lui-même est offert par le sacrifice non sanglant, qui se fait en sa mémoire, et il reçoit comme Dieu ce que nous lui offrons. Il expliquait sa pensée en disant que Jésus-Christ ne s’offre pas de nouveau à la messe, mais qu’il est offert par le prêtre. Le Sauveur, en effet, d’après l’Apôtre, ne s’est offert qu’une fois à son Père par le sacrifice de la croix. Il n’avait pas besoin d’offrir à sa propre divinité cet unique sacrifice de son corps et de son sang, parce que son humanité avait été suffisamment sanctifiée par l’union hypostatique. Il insistait sur cette idée qu'à la messe Jésus n’est pas réellement immolé, mais que sa passion salutaire y est renouvelée en imagination, ou plutôt d’une manière imagée et symbolique, comme si elle avait lieu présentement, wç svsarwTa yàp Ta iraXai. ysY£vy]ixsvx xaivtÇsi (pavTaauxcoç, v) [ixXkov eEttsïv etxovixwç, 7] àvà(J.V7)(j^, y)v tcoisîv Tjpiôcç sttstxÇev ô aa>T/)p. Mai, loc. cit., p. 14 ; P. G., loc. cit., col. 148 AB. Le patriarche élu d Antîoche affirmait donc trois choses : 1. Le sacrifice de la croix n’a pas été offert au Verbe, mais seulement au Père et au Saint-Esprit ; 2. Jésus-Christ n’a fait qu’une seule oblation de lui-même, au moment du sacrifice de la croix ; il ne renouvelle pas cette oblation à la messe ; c’est le prêtre qui fait cette oblation par le pain et le viii, qu sont changés en son corps et en son sang. Il reçoit cette oblation comme Dieu ; 3° La messe est une sorte de drame purement symbolique représentant la passion du Sauveur.

Il ne faisait pas bon se livrer à des fantaisies théologiques sous le règne de Manuel Comnène (1143-1180), car le basileus se piquait de théologie plus qu’aucun autre de ses sujets. Aussitôt que courut le bruit de la discussion soulevée par Sotérikhos, on décida de convoquer le synode permanent (cjvoSoç è18y]xo~jesoi) pour examiner la question. L’assemblée se tint au patriarcat, dans la chapelle Saint-Thomas, le 26 janvier 1156. Y assistèrent, outre le patriarche de Constantinople et les évêques alors présents dans la capitale, le patriarche de Jérusalem, plusieurs sénateurs et hauts dignitaires. Tous furent unanimes à condamner les idées de Sotérikhos sur le sacrifice de la croix et celui de la messe ; et l’on produisit de nombreux textes des anciens Pères et aussi des théologiens plus récents, parmi lesquels figurent Photius, Léon de Bulgarie, et Eustrate de Nicée, pour appuyer la doctrine orthodoxe, qui est celle-ci : 1° Le sacrifice

de la croix a été, et le sacrifice quotidien de la messe est offert non seulement au Père et au Saint-Esprit, mais aussi à la personne du Verbe considéré dans sa divinité ; 2° Jésus-Christ n’a pas seulement offert le sacrifice de la croix, mais il offre aussi chaque jour le sacrifice de la messe ; 3° Jésus-Christ, à l’autel, n’est pas simplement immolé en figure et d’une manière métaphorique, mais d’une manière réelle, quoique mystérieuse et non sanglante ; 4° Le sacrifice de la messe et celui de la croix constituent un seul et même sacrifice.

Telle est la doctrine qui se dégage non seulement des actes de ce premier synode de 1156, mais aussi de ceux d’un second concile, plus nombreux et plus solennel que le premier, qui se tint deux ans après, au palais des Blakhernes, le 12 mai 1158, sous la présidence même de l’empereur. Le premier synode, en effet, ne mit pas fin à la controverse, et ne fut qu’une escarmouche entre les deux partis. Sotérikhos et plusieurs de ses amis n’avaient pas été convaincus par les autorités produites par les orthodoxes, et ils continuaient à discuter. Ils en vinrent même à soutenir que le sacrifice de la croix avait été offert au Père seul, à l’exclusion du Fils et du Saint-Esprit. Au second concile, Manuel Comnène lui-même argumenta contre Sotérikhos, qui allait jusqu'à dire que recevoir était une propriété hypostatique du Père. Enfin, il s’avoua vaincu par le théologien couronné, et signa cette déclaration : « Je me range à l’avis du saint et sacré concile pour confesser que : aussi bien le sacrifice offert maintenant, que celui qui le fut autrefois, l’est et l’a été par le' Verbe incarné, attendu que c’est un seul et même sacrifice, ô[i.oçpovco t9) Lepôc xat àyta cuvoScù èni tû ttjv Ouatav xat tt)v vûv 7rpoaayo(xsvY]v xat tote Trpo<7aj(6sïc ; xv, Tcapà toû |i.ovoYEvoijç xat IvavOpwTcyjaavToç Aoyou xat tote 7ïpo<Txx9sï<7av xat vGv nâXiv TrpoaaYsaOai, wç tï)v aÙTTjv oùaav, xat uiav. » Mai', p. 76-77 ; P. G., t. cit., col. 189 C. Par cette soumission tardive, Sotérikhos ne réussit pas à s’assurer le siège d’Antioche, auquel il avait déjà été nommé. Il fut déposé, le lendemain 13 mai, par les membres du synode, à cause du scandale qu’il avait donné en défendant si longtemps une doctrine qualifiée d’hérésie. Celle-ci fut portée au Synodicon de la Grande Église pour être anathématisée chaque année, au dimanche de l’Orthodoxie, dans les termes suivants : « Anathème à ceux qui disent que le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, notre Dieu et Seigneur et Sauveur, offert par lui pour le salut du monde, au temps de sa passion salutaire, au titre de pontife qu’il a reçu pour nous selon son humanité — il est, en effet, lui-même, le sacrificateur et la victime, d’après l’illustre théologien Grégoire — anathème à ceux qui disent qu’il a offert lui-même ce sacrifice à Dieu le Père, mais que le Monogène lui-même et le Saint-Esprit ne l’ont pas reçu avec le Père. Affirmer cela, en effet, est exclure des honneurs et de la dignité divine Dieu le Verbe lui-même et l’Esprit Paraclet, qui lui est égal en substance et en gloire ; « Anathème à ceux qui ne confessent pas que le sacrifice offert chaque jour par ceux qui ont reçu du Christ le pouvoir de célébrer les saints mystères n’est pas offert à la sainte Trinité ; ils contredisent, en effet, les saints et divins Pères Basile et Chrysostome, avec lesquels s’accordent les autres Pères théophores dans leurs discours et leurs écrits ; « Anathème également à ceux qui, entendant le Sauveur dire au sujet de la célébration des saints mystères qu’il a institués : Faites ceci en mémoire de moi, ne donnent pas à ce mot mémoire, tt)v àvâ[xvi, CTiv, son véritable sens, mais osent affirmer que le sacrifice quotidien offert par ceux qui célèbrent les saints