Pour M. Blondel, les lois de la nature sont des constructions arbitraires, et n’ont pas de valeur représentative. La conception du miracle, comme exception réelle à des lois réelles, est donc inadmissible. Fidèle à la doctrine de l’immanence, l’auteur de L’action dépouille, dans l’apologétique, l’argument du miracle de sa valeur spéculative, mais entend lui restituer une valeur pragmatique. Peu importe dans le miracle le merveilleux sensible : ce qui importe, c’est le sens symbolique. Et « comme l’idée de lois générales et fixes dans la nature, et l’idée de nature elle-même n’est qu’une idole ; comme chaque phénomène est un cas singulier et une solution unique, il n’y a sans doute, si on va au fond des choses, rien de plus dans le miracle que dans le moindre des faits ordinaires..Mais aussi il n’y a rien de moins dans le plus ordinaire des faits que dans le miræle. » Lettre sur l’apologétique, dans Annales de philosophie chrétienne, janv. 1890, p. 345 ; cf. L’action, p. 396. De telle sorte que le miracle, fait naturel sans doute qu’on ne saurait considérer à part des autres sans morceler artificiellement le réel, est miracle en ce sens que, « brusquerie exceptionnelle », il provoque la réflexion à des conclusions plus générales… Les miracles ne sont donc miraculeux qu’au regard r’e ceux qui sont déjà prêts à reconnaître l’action divine dans les événements et dans les actes les plus habituels. Id., ibid., Cf. J. de Tonquédec, Introduction, .., p. 94-103.
b) Critique. — J. ds Tonquédec n’a pas de peine à montrer que sous ces apparences d’une philosophie subtile et relevée, nous sommes ici en face d’un véritable naturalisme. On nie la possibilité du miracle, intervention préternaturelle de Dieu dans l’ordre des phénomènes, en raison de la continuité ou d ? l’interdépendance des phénomènes entre eux. Cette continuité est-elle prouvée en tout et pour tout ? Tel est le point précis de la controverse. L’expérience est là pour contredire un principe si absolu. Le monde se transforme incessamment, et pourtant quelque chose subsiste en lui, en dépit des modifications partielles. « .Même parmi les phénomènes reliés par des influences réelles et profondes, de combien peut-on dire avec certitude que leur liaison est indissoluble ? De combien de conditions ou de causes peut-on affirmer qu’elles sont absolument nécessaires, et que rien ne saurait tenir leur place ? Certes, on ne l’affirmera pas de toutes… Alors, encore une fois, quelles sont les conditions absolument indispensables à l’existence d’un phénomène ? M. Le Roy finira par nous le dire crûment, et tout le déploiement métaphysique auquel nous avons assisté va soudain se rétrécir à son issue. Ce qui est nécessaire, ce sont les « causes normales, les conditions génératrices ordinaires ». Op. cit., i, p. 24. « Voilà où devaient aboutir tant de subtiles considérations : à cette exclusion unique, à cette conclusion empruntée au plus vulgaire naturalisme. Qui ne voit qu’elle constitue ici une grosse pétition de principe ? Introduction, p. 119.
Mais, au point de vue de la contingence des lois de la nature, la position de ces auteurs est également insoutenable. Sans doute, il faut admettre une part considérable de convention ou d’hypothèse dans les lois scientifiques. Ce qu’on appelle les lois de la nature sont plutôt « les lois de la nature en ses rapports avec notre sensation et notre intelligence ». E. Meyerson. De l’explication dans les sciences, Paris, 1921, t. i. p. 17. Mais ces rapports eux-mêmes ne sont pas puremini artificiels ; ils supposent du réel. Si la science ne nous apprend pas toute la vérité, elle nous apprend au moins quelque chose, et au fur et à mesure qu’elle progresse, ses lois et ses théories reflètent de plus en
plus parfaitement la réalité objective. Cf. Van llove, op. cit., p. 17(i ;.1. de Tonquédec, Introduction, p. 108 ;
P. Duhem, La théorie physique, Paris, 1914, p. 3236 ; P. Hoenen, De valore theoriarum physicarum, dans Acta primi congressus thomistici internationalis, Rome, 1925, p. 61-74 ; L. Noël, Le déterminisme, Bruxelles, 1906, p. 408. E. Le Roy a été obligé de faire lui-même des concessions sur ce point. Science et philosophie, dans Revue de métaphysique et de morale, Paris, 1899, p. 525-536 ; Le problème du miracle, dans Bulletin de la Société française de philosophie, mars 1912, p. 123, 164, etc.
En bref, « il faut se garder de confondre les lois scientifiques et les lois objectives, principes réels qui déterminent ontologiquement le cours régulier des événements. La contingence des lois scientifiques n’entraîne aucunement celle des lois objectives. Peu importe au fond l’opinion qu’on se fait de la valeur des premières et de la part de l’esprit dans leur élaboration ; aucune théorie de logique scientifique n’entamera jamais l’assertion, d’ordre purement métaphysique, aux termes de laquelle les phénomènes résultent normalement de natures spécifiques et se conforment à celles-ci comme à autant de lois. Or, pour que le miracle soit concevable et possible, il suffit que l’on admette l’existence de ces lois objectives. » Van Hovc, op. cit., p. 178.
Jusqu’ici, conclurons-nous avec J. de Tonquédec. « la porte reste ouverte à l’admission d’une intervention extranaturelle, à supposer qu’on en puisse découvrir des signes positifs ». Introduction, p. 119.
2. Le déterminisme.
Le véritable adversaire de la possibilité du miracle est le déterminisme : la majorité des savants incroyants se refuse à admettre le miracle, parce que, selon eux, l’univers obéit à des lois rigoureuses et nécessaires, ne souffrant pas la moindre exception : ainsi, la science est l’ennemie irréductible du miracle.
Souvent cette foi au déterminisme n’est pas. chez les savants, la conclusion d’un raisonnement ou d’une étude ; elle est, sinon un préjugé, du moins un parti pris admis sans discussion ni examen. Dogme scientifique, le déterminisme a pour corollaire nécessaire l’impossibilité radicale du miracle : « Par ses principes comme par ses conclusions, la science élimine le miracle. » G. Séailles, Les affirmations de la conscience moderne. 4e éd., Paris, 1909, p. 32. Affirmation a priori. et, de soi, contraire à l’esprit scientifique, qui doit se délier de tout apriorisme. Aussi, nombre de philosophes et de savants ont tenté de justifier leur attitude « scientifique » à l'égard de la possibilité du miracle, cherchant au déterminisme invoqué une raison d’ordre philosophique ou expérimental.
a) Déterminisme déduit fondé sur une raison philosophique. — Ce déterminisme revêt deux formes : l’une strictement philosophique, celle que lui a donnée Spinoza ; l’autre, plus directement ordonnée aux nu thodes scientifiques, celle qu’on trouve chez Claude Bernard.
a. Première forme. - Pour Spinoza, l’intelligence cl la volonté divines étant identiques, les décrets de Dieu s’identifient aux lois universelles de la nature, cl résultent nécessairement de la perfection de l'Être suprême. Le cours de la nature est donc éternel, fixe, immuable, comme le décret divin dont il résulte. C’est là aussi la conclusion de toute doctrine qui, prenant à la lettre l’axiome hégélien de l’identité du rationnel et du réel, enseigne qu’en chaque parcelle d’existence se découvre une réalisation et une conséquence infaillible des premiers axiomes intellectuels. Cf..1. de Tonquédec, » /' cit., p. 37. l.à pareillement dm
vent aboutir, en Vertu de leur système philosophique général, les panthéistes, soit matérialistes soit Idéalistes ; pour eux. le monde n’est pas distinct de l’absolu, et, partant, absolues et immuables sont les lois