de la nature. Et, en général, cet espèce de déterminisme doit être logiquement celui des philosophes qui transposent dans le plan de la nature l’immutabilité de la volonté et des décrets divins.
Une telle forme de déterminisme relève d’une théorie générale, dont la réfutation dépasse de beaucoup la question de la possibilité du miracle. C’est à la théodicée qu’il appartient de discuter ces sortes d’assertions, et elle peut le faire sans viser directement le problème du miracle qui n’y rentre que comme une conclusion. Voir Déterminisme, t. iv, col. G 12 : et sur Spinoza, Dieu, t. iv, col. 1254 sq.
b. Deuxième forme. — a) Exposé. — Sur le terrain proprement scientifique, une forme voisine du déterminisme s’affirme, dont le principe est cependant différent. C’est le déterminisme que certains savants invoquent comme étant l'âme de toute science, le postulat nécessaire à toute méthode scientifique. La science existe ; elle s’impose ; or, elle ne peut exister qu'à la condition de présupposer le déterminisme absolu des phénomènes qu’elle étudie.
De cette conception, on peut retrouver les antécédents chez Kant, antithèse de la 3e antinomie, dans Critique de la raison pure, tr. fr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, 1905, p. 401 sq. Mais elle a été exposée et défendue surtout par Claude Bernard. Sans doute, il n’est pas certain que ce savant ait voulu par là nier la possibilité du miracle. Dans le commentaire dont il a accompagné le texte du grand physiologiste, le P. Sertillanges interprète, sur ce point, en bonne part les assertions de Cl. Bernard. Cf. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, notes 170, 171, 175, 250, etc. Toutefois, ce déterminisme sert à d’autres auteurs de point de départ à la négation du miracle ; c’est, en effet, un déterminisme absolu : « Le déterminisme absolu des phénomènes dont nous avons conscience, dit Cl. Bernard, a priori est le seul critérium ou le seul principe qui nous dirige et nous soutienne. » Op. cit., p. 87 ; cf. p. 58, 64. « Il est à la base de tout progrès et de toute critique scientifique ». Id., p. 109. Ainsi, pour M. E. Goblot, ce déterminisme implique que l’ordre de la nature est constant et universel, que « les lois ne souffrent pas d’exception », qu' « il n’y a pas de faits ni de détails de faits qui ne soient réglés par des lois ». Et il faut donc conclure : « Toute induction repose sur la confiance que nous avons dans le déterminisme. Il n’y a donc dans la nature ni contingence, ni caprice, ni miracle, ni libre arbitre ; chacune de ces hypothèses ruine en nous la faculté de raisonner sur les choses. » Traité de lotjique, Paris, 1920, p. 313-314 sq. Cf. La finalité en biologie, dans Revue philosophique, oct. 1903, p. 370-371. On ie voit, l’absolu de la science est à la base du raisonnement ; si la science existe, si elle réussit, elle impose les conditions de sa possibilité et de son existence ; et, parmi ces conditions, la plus importante est d’admettre un parfait déterminisme. La méthode scientifique rend le miracle inconcevable : « Le miracle, déclare A. Sabatier, n’a plus aucune base dans la philosophie moderne. La méthode inaugurée par Galilée, Bacon, Descartes, a donné à notre pensée un tour qui nécessairement l’exclut. » Esquisse d’une philosophie de la religion, Paris, s. d., p. 80. Cf. P. Larroque, Examen critique des doctrines de la religion chrétienne, 3e éd., Paris, 1804, t. i, p. 205 ; J. Simon, La religion naturelle, p. 252.
[}) Critique. — Certains auteurs catholiques pensent pouvoir défendre ici la possibilité du miracle, en affirmant que l’uniformité des lois est un postulat indémontrable ; qu’on ne saurait appuyer sur une base aussi peu ferme tout l'édifice de la science ; que le principe déterministe lui-même n’est pas l’unique
motif du succès de la science et qu’enfin il n’engendre pas toujours le succès. Mais ce sont là les petits aspects de la réponse. D’autres réponses plus directes sont possibles et nécessaires.
Tout d’abord, le miracle est suffisamment exceptionnel pour être, au point de vue de l’investigation scientifique, pratiquement négligeable. Il repose, en effet, sur l’intervention libre de Dieu dans le monde, intervention toujours justifiée par des motifs d’ordre religieux et toujours guidée par la sagesse infinie. Et cette sagesse infinie, gardienne de l’ordre du monde, fixe les conditions des exceptions à cet ordre. A cause de sa rareté même, le miracle ne pourra troubler le savant : la science, si parfaite soit-elle, n’est toujours qu’une vue partielle sur les choses ; et les miracles se perdent dans l’immense multitude des faits qui nécessairement échappent aux calculs, aux investigations scientifiques. Enfin, toute difficulté semble enlevée au savant du fait que le miracle se présente ordinairement dans des conditions telles, que son origine supranaturelle apparaît facilement. La croyance au miracle n’a jamais empêché un savant de faire œuvre de savant. D’ailleurs, nous pouvons raisonner ici comme nous le faisions tout à l’heure à propos du contingentisme des lois scientifiques. Ici, il ne s’agit plus de contingentisme, mais de déterminisme. « Le déterminisme, dirons-nous avec M. Van Hove, op. cit., p. 216, constitue véritablement un guide indispensable pour l’expérimentateur, une condition sine qua non du travail et de la certitude scientifiques, mais il n’est pas pour cela même une loi de la réalité. En vertu de sa définition, le travail de la science consiste à exprimer le réel aussi parfaitement que possible dans un langage déterministe ; mais le déterminisme scienti tique, tel que nous le considérons pour l’instant, n’est qu’une pure forme, un cadre dans lequel le savant essaye de faire entrer tout ce qui lui est donné dans ses observations et ses expériences. Pur principe de recherche, le déterminisme n’a pas le droit de prétendre refléter la réalité objective elle-même, et le savant qui s’en arme en entrant dans son laboratoire, n’est pas pour autant autorisé à affirmer que tous les faits se rattachent à leurs antécédents par un lien nécessaire… Si le déterminisme est principalement un principe de recherche scientifique, rien ne permet d’affirmer au nom de la science l’universalité du règne d’un déterminisme ontologique. Il peut arriver, et il arrive de fait, que l’on ne réussisse pas à trouver la loi d’un phénomène ; rien n’empêche que cet échec soit tout simplement du à ce que le phénomène en question n’obéit pas à une loi. La métaphysique thomiste admet précisément que le déterminisme n’est pas universel et qu’il y a des êtres doués de liberté : la science n’est pas faite pour y contredire. L 'existence d’un domaine soustrait au déterminisme, et où par conséquent l’investigation scientifique ne pourra jamais être couronnée de succès, est d’autant moins inquiétante que la théorie du miracle prétend délimiter son étendue avec une approximation largement suffisante. » Op. cit., p. 216-217. Cf. J. de Tonquédec, op. cit., p. 71 sq. ; P. M. Périer, Trois objections contre le miracle, dans Revue pratique d’apologétique, 15 juin 1920, p. 269271 ; Déterminisme, t. iv, col. 645.
/ ;) Déterminisme induit, fondé sur l’expérience. D. Hume a formulé d’une façon assez complète l’argument opposé au miracle, au nom du déterminisme, résultat de l’induction scientifique. Voici comment on peut résumer cet argument : Les lois de la nature sont établies par une expérience constante et uniforme ; or, par définition, le miracle serait une violation de ces lois ; donc, il est impossible. Quel que soit le témoignage en faveur du miracle, il est néces-