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MITIGATION DES PEINES DE LA VIE FUTURE


xixe siècle, M. Émery ont proposé la thèse de la mitigation des peines de l’enfer ; mais ils ont pris soin de ne point s’y rallier expressément : « L’Église, écrit Petau, n’a rien encore déterminé de certain sur le soulagement de ceux qui sont condamnés à la peine éternelle, du moins à l’égard des hommes ; en sorte qu’il h aurait témérité à rejeter comme absurde l’opinion favorable à ce soulagement, qu’ont professée de très saints Pères de l’Église, quoiqu’elle soit contraire, dans les temps où nous vivons, au sentiment des catholiques. » Dogmala theologica. De angelis, t. III, c. viii, n. 18.

M. Émery a écrit une longue Dissertation sur la mitigation des peines des damnés, dissertation publiée par Migne et, qu’on trouve insérée dans L’autre vie de Mgr Élie Méric, 13e édit., t. ii, p. 289-384. M. Émery proteste que « son intention n’a point été de combattre l’opinion commune des théologiens sur la mitigation des peines des damnés », mais simplement de « montrer que cette opinion n’appartenait point à la foi, et pouvait être abandonnée sans exposer à aucune censure. » Op. cit., p. 384. La thèse de M. Émery a été défendue par Carie, Du dogme catholique de l’enfer, Paris, 1842. Le P. Ventura a fait également une large concession à la doctrine de la mitigation. La raison catholique et la raison philosophique, Paris, 1855, t. iii, xxi" conférence, n. 19, p. 579, 581.

Ces auteurs n’enseignent pas, comme Gilbert de la Porrée, la diminution progressive et indéfinie des peines de l’enfer ; les autorités patristiques auxquelles ils se réfèrent n’invoquent que la prière pour les morts comme cause de la mitigation et, par conséquent, n’envisagent aucune mitigation postérieure au jugement dernier.

2 J Dans l’Église grecque. - L’origénisme a-t-il laissé chez les anciens Pères de l’Église grecque des traces telles que la doctrine de la mitigation des peines puisse être relevée chez plusieurs d’entre eux ? Petau et Émery prétendent retrouver la mitigation chez saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Jean Damascène. Ils invoquent la tradition grecque qui s’est affirmée au concile de Florence par la voix de Marc d’Éphèse.

1. Saint Jean Chrysostome.

In epist. ad Philip., nom. iii, P. G., t. lxii, col. 203. < Les morts que nous devons pleurer sont ceux qui sont morts dans leurs péchés. Ceux-là sont vraiment dignes de gémissements et de larmes… Pleurons les infidèles ; pleurons ceux qui n’ont pas reçu le baptême (les catéchumènes) et qui ne diffèrent en rien des infidèles ; pleurons les riches qui sont morts sans s’être ménagé, par un bon emploi de leurs richesses, quelques ressources dans l’autre vie ; pleurons ceux qui avaient en ce monde la facilité du pardon de leurs péchés et qui n’ont pas voulu en faire usage ; pleurons-les donc ; aidons-les suivant nos forces, portons-leur quelque secours… Ce secours, c’est de prier pour eux, c’est de faire pour eux de nombreuses et abondantes aumônes. » — En réalité, ce texte n’affirme rien qui puisse autoriser l’opinion de la mitigation des peines, en vertu des suffrages des vivants. Il ne fait qu’affirmer la pratique traditionnelle de porter au saint sacrifice la mémoire des défunts, quels qu’ils soient, parce qu’on ne sait jamais ce qui se passe dans le secret des cœurs à l’heure de la mort. Le texte de saint Chrysostome nous encourage à ne désespérer du salut de personne, même des plus grands pécheurs ; il ne nous autorise pas expressément à attendre de la miséricorde divine un allégement aux souffrances des damnés.

2. Saint Basile.

On invoque l’autorité de saint Basile, d’après l’affirmation de Marc d’Éphèse à Florence. Cf. É. Méric, L’autre vie, t. ii, p. 313. Dans une homélie, saint Basile aurait dit, s’adressant à Notre-Seigneur au jour de Pâques : « Dans ce jour si saint

et si solennel, daignez agréer les supplications pour ceux qui sont détenus en enfer ; nous espérons fermement que vous leur accorderez quelque relâche et quelque soulagement dans leur supplice. » En réalité, le texte n’existe pas dans saint Basile ; il fut cité au concile de Florence, par Marc d’Éphèse, comme devant, à son sentiment, être attribué à l’évêque de Césarée. Le P. Le Quien rapporte le fait et le document dans sa dissertation Ve, sur le dogme du purgatoire chez les Grecs, P. G., t. xciv, col. 354 (n. 6). Il écrit : Marcus vero eadem probare nititur quodam magni Basilii, ut putat, loco, ex homilia quam Grseci lequnt… Cette attribution dubitative laisse planer quelque incertitude sur l’authenticité de la prière. Mais, admettons cette authenticité. Quel en est le sens exact ? N’avons-nous pas, nous aussi, dans notre liturgie romaine, des prières analogues, dont la signification n’implique nullement l’efficacité des suffrages des fidèles à l’égard des damnés ? Ne disons-nous pas Libéra eos de peenis inferni ? Délivrer les défunts des peines de l’enfer, n’est-ce pas, en réalité, leur éviter ces tourments ? Mais le terme grec êv qf80u ne signifie pas nécessairement l’enfer des damnés, tout comme notre infernum ne s’applique pas uniquement au lieu des tourments éternels. Eùt-il d’ailleurs ce sens, que nous devrions simplement en conclure que la prière de la liturgie grecque répond à l’idée que les Orientaux se font du purgatoire, qu’ils refusent de concevoir comme un lieu distinct de l’enfer. Voir plus loin, et Purgatoire. Cf. Feu du purgatoire, t.v, col. 2246.

3. Saint Jean Damascène.

Dans le discours De iis qui in fuie dormierunl, P. G., t. xcv, col. 247278 (ouvrage d’ailleurs inauthentique), S.Jean Damascène, d’après Petau, aurait enseigné la mitigation des peines de l’enfer. Le vague résumé que donne Petau ne correspond pas à la docttine de l’opuscule. A plus forte raison s’en écartent les commentaires d’Émery, et, plus récemment, de L. Garriguet, Le Bon Dieu, 1e édition, Paris, 1920, c. xi. On lit dans le pseudo-Damascène que « nous devons être miséricordieux, afin d’éviter l’horrible et redoutable jugement » (col. 276), que « les pécheurs (damnés) seront destitués de toute consolation, même de celle de se reconnaître entre eux » (col. 277), qu’ « après la sentence finale, il n’y aura plus moyen d’être secouru par la prière, tôte yàp ôXwç Po/)6e(aç oùx earai xaipôç, àXXà Trâaa 7rapà>cXr, ai.i ; y.npcx.XTOC„ n. 8, col. 253. Mais nulle part, on n’y peut trouver l’enseignement que ceux qui sont morts avec le péché grave profitent des prières des vivants. Seul, un épisode rapporté par le saint Docteur pourrait suggérer cette conclusion. L’auteur rapporte, n. 10, col. 256, que Macaire ayant trouvé sur sa route le crâne d’un défunt, demanda à qui avait appartenu cette tête ; et la tête répondit qu’elle avait appartenu à un prêtre païen, actuellement damné ; mais que cependant, grâce aux prières de Macaire, ce prêtre et d’autres étaient soulagés. A cette « légende », sans fondement historique sérieux, saint Thomas répond, en invoquant la quatrième opinion qu’il qualifie de « plausible », quoique improbable. Cf. Suppl., q. lxxi, a. 5, ad 4tun.

4. Ce qui a pu induire en erreur les partisans de la mitigation des peines de l’enfer, c’est l’ignorance de la conception qu’ont les Orientaux touchant les peines d’outre-tombe. « Au concile de Florence, écrit Émery, Marc Eugénique d’Éphèse déclara que l’Église grecque avait cru de tous temps et qu’elle continuait à croire que les âmes des pécheurs condamnés aux supplices éternels recevaient, par les prières et les autres bonnes œuvres des fidèles, quelque adoucissement dans leurs peines. Cette déclaration ne souleva aucune protestation. Les Latins ne la considérèrent pas comme allant, en quoi