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M1TIGATION DES PEINES DE LA VIE FUTURE


que ce soit, contre les données de la foi, la preuve en est qu’ils ne demandèrent aux Grecs aucune modification à cette partie de leur Credo. Ceux-ci continuèrent « à soutenir avec la plus grande énergie que les prières des hommes saints et agréables à Dieu sont profitables aux infidèles, et à tous ceux qui sont condamnés aux peines éternelles, qu’elles leur procurent du soulagement dans leur peine ». Cette dernière affirmation est répétée d’après Allatius.

Sans entrer dans les discussions secondaires qu’on pourrait soulever au sujet des déclarations de Marc d’Éphèse et de leur portée exacte, et surtout au sujet de la véracité de l’histoire de Syropoulos (à laquelle se réfère Émery), il suffira de rappeler que la doctrine orientale, d’ailleurs assez imprécise et fuyante, admet la prorogation des peines comme celle des récompenses jusqu’au jugement dernier. Jusque-là, ni paradis, ni enfer proprement dit, mais simple attente du paradis, et simple attente de l’enfer. Sur cette conception fondamentale se greffent des divergences d’interprétations particulières. L’état d’attente dans lequel se trouvent les âmes implique logiquement la négation d’un lieu particulier d’expiation temporaire pour les âmes non complètement purifiées. Donc, il n’y a pas de purgatoire. Mais, en revanche, les âmes, n’étant pas encore à proprement parler soumises aux châtiments éternels, il est encore possible d’obtenir pour elles un secours des prières des vivants. Certaines professions de foi établissent parmi les âmes pécheresses deux catégories. La confession de Dosithée, par exemple, distingue « ceux qui sont tombés dans des péchés mortels, mais qui, au lieu de s’abandonner au désespoir, se sont repentis encore en vie, sans néanmoins avoir fait aucun fruit de pénitence », et les damnés qui sont dans la tristesse et les gémissements, en attendant le châtiment après la résurrection. Les premiers sont en enfer comme les seconds ; mais ils peuvent y être secourus et même en sortir ; les seconds seuls sont éternellement voués à l’affliction. Decr. xviii dans Kimmel, Monumenta ftdei Ecclesiæ orientalis, t. i, p. 463. D’autres textes, la confession de Moghila par exemple, n’admettent qu’une catégorie de damnés, mais comme le sort des damnés n’est pas irrévocablement fixé avant le jugement (dernier), certains d’entre eux peuvent encore être sauvés, grâce aux prières des vivants. Confess. orth., part, i, q. lx, Kimmel, op. cit.. p. 135. Ces théories avaient certainement cours au temps de Marc d’Éphèse, ainsi qu’en font foi les documents relatifs au concile de Florence, récemment publiés par Mgr Petit. Patrologia orientalis, t. xv, fasc. i. Cf. A. Michel, La question du purgatoire chez les Grecs, à propos d’une récente publication, dans Revue pratique d’apologétique, t. xxxii, p. 385-404. C’était, en somme, le purgatoire, la chose sans le mot. Les Pères latins approuvèrent la chose, sauf précisément ce qui constitue à proprement parler, l’erreur grecque, savoir, le retardement des récompenses et des peines, erreur condamnée depuis lienoît XII, voir ce mot, dans la bulle Bencdictus Deus. L’entente se fit, sur ce point, grâce à un compromis contenu dans la déclaration du 17 juillet 1438 : o Les âmes des justes jouissent immédiatement après la mort de toute la félicité dont ces âmes sont capables : mais, après la résurrection, il s’ajoute encore quelque chose à cette félicité, savoir la glorification du corps qui brillera comme le soleil. » Sur les damnés, rien ; ce qui ne veut pas dire que la conception des Grecs fut admise par les Latins, qui professaient exactement le contraire des Grecs et firent rappeler dans la définition dogmatique le mox in injernum descendere, du concile de Lyon et de Benoît XII.

L’attitude du magistère.

Les partisans de la

doctrine de la mitigation voient dans le silence observé par l’Église à ce sujet et même dans la volonté positive de ne pas intervenir, un laissez-passer accordé a l’opinion « libre, quoique moins probable, » de la mitigation des peines de l’enfer.

On vient de le constater ; il est inexact d’affirmer que le concile de Florence ait laissé passer l’opinion de la mitigation des peines de l’enfer : en réalité, il s’agissait de tout autre chose.

Mais on s’attache à l’autorité d’Innocent III. < Innocent III, dit-on, s’occupa (de cette question) dans une lettre à l’archevêque de Lyon… La conclusion qui s’en dégage est celle-ci : on peut, sans blesser la foi, croire ce que l’on veut sur cette matière ; par conséquent, on peut croire au soulagement des damnés, surtout de ceux qui ont fait quelque bien sur la terre. » — L’explication dépasse à coup sûr le sens de la réponse. Le Maître des sentences, commentant le texte de saint Augustin, Enchiridion, n. 110, P. L., t. xl, col. 283, avait distingué (t. IV, dist. XLV), en dehors des élus du paradis et des damnés sans espoir, deux catégories d’âmes : les mediocriler boni, les mediocriler mali. Aux médiocrement bons, les prières apportent la complète délivrance ; aux médiocrement mauvais, un simple soulagement. Interrogé sur la légitimité des distinctions apportées, Innocent répond simplement : « Dans cet article, y a-t-il lieu à cette distinction par laquelle on enseigne qu’entre les défunts, les uns sont très bons, les autres très mauvais, d’autres médiocrement bons, d’autres médiocrement mauvais, de telle sorte que les suffrages qui se font par les fidèles dans l’Église sont, à l’égard des très bons, des actions de grâces, à l’égard des très mauvais, une consolation pour les vivants, à l’égard des médiocrement mauvais, des propitiations, je laisse cela à votre discrétion. » Décrétai., t. III, tit. xli, n. 6, et P. L., t. ccxiv, col. 1123. Le pape, on le voit, ne tranche rien, pas même le sens à donner aux « médiocrement mauvais ».

En sens contraire on pourrait alléguer l’acte de saint Pie V, faisant disparaître du missel romain, la messe pro cujus anima dubitatur. Voir ci-dessus.

Enfin, il ne faut pas trouver une approbation tacite oe l’opinion de la mitigation dans le silence de la Congrégation de l’Index auquel la dissertation de M. Émery fut jadis déférée. « Grâce à Dieu, en dehors même des questions controversées, il est des vérités qui, pour être généralemnet admises au sein de l’Église, ne provoquent pas nécessairement ses foudres, sur ceux qui les contestent. » F. Tournebize, Opinions du jour sur les peines d’outre-tombe, Paris, s. d.

Le sentiment des théologiens.

Si le magistère de

l’Église ne s’est pas prononcé dans la question de la mitigation des peines de l’enfer, et s’est contenté d’interdire à la piété des fidèles la prière pour les damnés, beaucoup de théologiens catholiques ont pris nettement position contre l’opinion de la mitigation des peines de l’enfer.

1. Nous avons entendu saint Thomas réfuter les quatre opinions principales qui avaient cours en son temps. Il conclut en déclarant qu’il est plus sûr (tutius) de dire que les prières des chrétiens ne profitent pas aux damnés.

Certes, le saint docteur accepte en un certain sens la doctrine consolante de la mitigation ; mais c’est en un sens différent et impropre. On peut dire, en effet, que les peines de l’enfer sont mitigées, parce que Dieu ne proportionne pas la peine à la faute ; si dur que soit le châtiment. il est encore inférieur à ce que la justice eût exigé, Cette opinion non seulement est admissible, mais elle paraît conforme à l’habituelle économie de l’infinie miséricorde de Dieu : « Dans la