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MOLINISME, LE CONCOURS DIVIN


préférences intimes ; il estime néanmoins qu’il faut provisoirement, pour des raisons d’opportunité, ne pas s'écarter de la première, « parce qu’elle est censée commune dans les écoles en diverses régions, et qu’il passe pour peu sûr d’affirmer que l’homme peut, sans secours spécial de Dieu, vaincre toute tentation, faire des actes bons naturels assez difficiles, ou faire quant à la substance, l’acte de contrition ou d’attrition qui sont des actes difficiles ». (Disp. cit., ræmb. 6, p. 109).

Un dernier problème se pose à propos du pouvoir de la volonté : comment ce pouvoir d'éviter chaque péché, mortel ou véniel, s’accorde-t-il avec son impuissance à les éviter tous ? Les docteurs répondent généralement que le malade ne peut faire tout ce que fait l’homme sain ; cette comparaison ne saurait plaire à Molina : le malade ne peut faire tout ce que fait l’homme sain, parce que l’action' épuise plus vite ses forces ; l’homme déchu ne peut faire tout ce que ferait l’homme dans l'état de nature intègre, non parce que l’action l'épuisé : elle fortifie au contraire sa vertu, mais parce que la nature humaine est si faible, le bien si difficile, les tentations si fortes, qu’il lui est impossible de ne pas succomber l’une ou l’autre fois, tout en pouvant éviter cette chute, s’il le voulait. La comparaison adéquate est celle que donne Aristote (De Cœlo, II, xii), pour expliquer l’impossibilité où nous sommes d’agir toujours bien, selon la raison : la difficulté de lancer un trait au but ne varie pas, mais il est d’autant plus difficile d’atteindre toujours le but que le nombre de jets est plus grand. (Q. xiv, a. 13, disp. XX, p. 113119.)

Ex’stence de la liberté.

Elle est un fait d’expérience, postulé du reste par l’existence du péché, et

confirmé par les témoignages de l'Évangile et des Pères, et par les décisions conciliaires. Molina la démontre longuement, à cause des négations de Luther, tout en soulignant la contradiction des luthériens qui se plaignent de ceux qui refusent d’embrasser leurs erreurs. (Q. xiv, a. 13, disp. XIX, p. 125-144.)

Sans aller jusqu'à nier la liberté, Guillaume d’Occam, Gabriel Biel et d’autres « nominaux » ont soutenu qu’elle n’existe plus au moment même de la volition ou de la nolition, parce qu’il serait contradictoire que la volonté ne veuille pas, à l’instant où elle veut. Erreur dangereuse ; car, si la liberté n’existe qu’avant ou après la volition ou la nolition, où est la liberté de l’acte créateur voulu de toute éternité, et où la malice de la décision contraire à la loi de Dieu ? Scot l’a bien vu (In /" m Sent., dist. XXXIX) : la volonté, à quelque moment qu’on la considère, est antérieure à son acte, comme toute cause l’est à son effet ; étant libre par nature, elle peut donc à tout instant vouloir ou ne pas vouloir. Quant à l’argument d’Occam, il repose sur une confusion entre sens composé et sens divisé : il est vrai que la volonté, au moment où elle veut une chose, ne peut pas en même temps ne pas la vouloir (sens composé) ; il n’est pas vrai que, pour cela, sa volition ne soit pas libre (sens divisé). (Q. xiv, a. 13, disp. XXIV, p. 144-147.)

II. LE concours DIVIN.

Il y a lieu de considérer séparément le concours général, par lequel Dieu concourt avec toutes les causes secondes, y compris la volonté libre, et le concours particulier, par lequel il aide la volonté dans l’accomplissement des œuvres surnaturelles, car ces deux genres de concours sont très différents et ne se rapportent pas de la même manière à notre volonté libre.

Le concours général de Dieu.

On l'étudiera

successivement dans son rapport avec les causes secondes quelles qu’elles soient, et dans son rapport avec la liberté d’agir dans l’ordre naturel.

1. Concours divin avec les causes secondes quelles qu’elles soient. — C’est l’un des points essentiels sur lesquels Molina a une théorie à lui. Pour bien comprendre la théorie de Molina sur ce point, il importe de la situer par rapport aux théories de Biel, de Durand et de saint Thomas d’Aquin.

Gabriel Biel (In IV » ™ Sent., dist. I, q. i, a. 1 et 3, dub. ii et iii), suivant en cela Pierre d’Ailly et certains théologiens auxquels fait allusion saint Thomas, (Sum.theol., I a, q. cv, a. 5 ; In Ilam Sent., dist. I, q.ix, a.4 ; Depo£., q.iii, a.7 ; Cont. Gent., . III, c.lxix), insiste à ce point sur la toute puissance divine, qu’il lui attribue proprement et entièrement tous les effets. Prenant à la lettre les textes de saint Paul, I Cor., xii, Qui operatur omnia inomnibus, et IlCor., iii, Nonquod sufficientes simus cogitare aliquid a nobis quasi ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est, il affirme que le feu ne réchauffe pas et que le soleil n'éclaire pas, mais que Dieu réchauffe et éclaire en eux et en leur présence. La cause première est donc seule efficiente ; les autres ne sont que des causes sine quibus non, en ce sens que Dieu a décidé de ne produire qu’en leur présence les effets que nous leur attribuons.

A l’extrême opposé, Durand déclare (In IlamSent., dist. I, q. v), que les causes secondes agissent et produisent leurs effets, sans que Dieu y concoure autrement que par la conservation de leurs natures et des forces qu’il leur a données. Le feu réchauffe par sa propre vertu spécifique ; mais il ne peut le faire que parce que Dieu le conserve lui-même et lui conserve son pouvoir calorifique. L’action de la cause seconde sur l’effet est immédiate, celle de Dieu n’est que médiate.

De ces deux théories, la première, abandonnée du temps de Molina, est rejetée par lui comme contraire à l'évidence, et sotte, suivant l’expression de saint Thomas ; la seconde, jugée erronée par la plupart de ses contemporains, est qualifiée par lui de « peu sûre ». Saint Paul, Act., xvii, n’insinue-t-il pas que Dieu coopère immédiatement à tous nos actes, lorsqu’il dit in ipso movemur ; et si le concours divin est nécessaire pour la conservation des êtres, ne l’est-il pas a fortiori pour la production des effets ? Dire que Dieu ne coopère pas immédiatement à la production et à la conservation des effets, entraînerait d’ailleurs une grave dérogation à sa toute puissance, puisque Dieu ne pourrait plus supprimer les actions sans supprimer les substances. (Q. xiv, a. 13, disp. XXV, p. 147-152.)

Reste la solution plus nuancée de saint Thomas (I a, q. cv, a. 5), d’après laquelle Dieu coopère de deux façons avec les causes secondes : il leur donne et leur conserve le pouvoir d’agir, comme le disait Durand ; il les meut en outre, en appliquant pour ainsi dire leurs formes et leurs vertus à l’action, comme l’ouvrier utilise la hache pour couper. Dieu et la cause seconde sont deux agents coordonnés entre eux ; donc, comme il arrive toujours en pareil cas, le second agit par la vertu du premier, en ce sens qu’il est mû par lui à agir.

A cette doctrine, Molina voit une double difficulté : 1. il avoue ingénument ne comprendre guère ce que peut être, dans les causes secondes, le mouvement et l’application à l’action qui seraient le fait de Dieu. L’exemple de la hache est trompeur, dit-il, car il y a des instruments qui ont le « pouvoir intégral d’agir », comme la semence, ou qui sont ce pouvoir même, comme la chaleur du feu. Des instruments de ce genre n’ont nul besoin d'être mus et appliqués par des causes principales ; ils produisent leurs eifets par eux-mêmes ; 2. il estime que, d’après cette doctrine, Dieu ne concourt en réalité que de façon médiate aux actes et aux eifets des causes secondes, puisque le terme de son action conservatrice ou motrice est dans ces causes mêmes.