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MOLINISME, LE CONCOURS DIVIN

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Molina.soutient au contraire que Dieu concourt immédiatement, immediatione suppositi, avec les causes secondes pour produire leurs actions et leurs effets. « De même, dit-il, que la cause seconde produit immédiatement son opération et réalise par elle son effet ; de même Dieu, par son concours général, influe immédiatement avec cette cause sur la même opération et produit par elle son effet. » C’est ce qu’on a appelé le concours simultané, par opposition à la prémotion.

Que ni l’influx de Dieu, ni celui de la cause seconde ne soient superflus, on le comprend, si l’on considère que Dieu agit comme une cause universelle et indifférente, déterminée par le concours particulier qui résulte de la nature ou du libre choix de la cause seconde. Ainsi le soleil et telle semence engendrent telle plante. Sans leur double influx, l’effet ne serait pas produit. Ces deux in flux par conséquent, n’existent pas en réalité l’un sans l’autre. Bien plus, il n’y a pas deux actions, mais une seule, par exemple la caléfaction, qui est dite concours général de Dieu, en tant qu’elle émane de Dieu, et concours particulier de la cause seconde, en tant qu’elle émane du feu.

Pour bien concevoir le concours général de Dieu, il faut le rattacher, comme à son principe immédiat, à la volonté divine éternelle. C’est d’elle que, sans entraîner aucun changement en Dieu, dérive toute l’action divine ad extra. Librement, Dieu a décidé que, sous son influence, des êtres divers seraient créés dans le temps et doués de forces variées pour agir ; mais voyant qu’ils ne pourraient absolument rien faire s’il n’influait avec eux sur leurs opérations et leurs effets, il a voulu suppléer à leur faiblesse, tout en respectant leur causalité propre. Il a donc décidé de toute éternité que son concours général serait à la disposition des causes secondes et que, chaque fois qu’elles s’exerceraient naturellement ou librement, il coopérerait avec elles comme si son concours était une loi naturelle.

De tout cela il résulte que, par rapport à l’effet produit, la cause première et la cause seconde sont causes partielles ou causes intégrales, selon le point de vue auquel on se place. Si l’on entend par cause intégrale, celle qui comprend tout ce qui est nécessaire pour produire l’effet, Dieu et les causes secondes forment une seule cause intégrale, composée de deux causes partielles. Ce n’est pas à dire cependant que chacune ne produise qu’une partie de l’effet : tout l’effet est de chacune, comme d’une cause partielle qui exige le concours simultané de l’autre. Ainsi, lorsque deux moteurs tirent un navire que chacun serait impuissant à mouvoir seul, chacun est cause partielle du mouvement tout entier. Si l’on entend, au contraire, par cause intégrale, celle qui est seule dans son degré, Dieu est cause intégrale, parce qu’il est seule cause universelle ; et les causes secondes peuvent être intégrales elles aussi chacune dans son degré.

Autre conséquence de ces explications : la subordinal ion, même essentielle, des causes selon leur degré d’universalité, n’entraîne pas nécessairement l’action « le la supérieure sur L’inférieure : il suffit, pour qu’elles dépendent l’une de l’autre dans la production de l’effet, qu’elles influent chacune immédiatement sur ce dernier. (Q. x’iv, a. 13, disp. XXVI, p. 152-158.)

2. Le concours divin avec la volonté libre dans la production des actes naturels. — Que l’action de la cause seconde soit immanente, comme celle de l’intelligence ou de la volonté, ou qu’elle soit transitive, comme celle du feu, le concours général de Dieu s’exerce de même : non in causant, mais cum causa. On oublie trop souvent de le remarquer, le concours

général pour la production des actes naturels est en cela bien différent du concours particulier pour la

production des actes surnaturels, puisque celui-ci est une motion in ipsam causam, pour rendre la volonté capable de faire des œuvres salutaires. (Q. xiv, a. 13, disp. XXIX, p. 171-172.)

Il faut donc rejeter, à propos du concours général, l’exemple parfois proposé, du précepteur qui saisit la main de l'élève et écrit avec la collaboration de ce dernier. L’influx de Dieu n’est pas antérieur dans le temps à celui de la volonté, parce qu’il ne s’exerce pas sur elle, mais avec elle immédiatement sur l’acte à produire ; il n’a sur elle qu’une antériorité de nature, en ce sens que, de l’existence de l’acte volontaire, on peut conclure à l’existence du concours divin. (Q. xiv, a. 13, disp. XXX, p. 175-178.)

On s’explique, dès lors, pourquoi la volonté est seule cause du péché, quoique l’acte mauvais soit tout entier de Dieu et tout entier de la volonté libre. La plupart des anciens théologiens croient résoudre la difficulté en disant que le péché, consistant formellement dans un défaut de conformité avec la loi, n’a qu’une cause déficiente, eten ajoutant que l’acte, en tant qu’il vient de Dieu, est toujours bon, puisqu’il tient de lui son être, tandis que son défaut de conformité à la règle, c’est-à-dire sa malice, vient de la liberté. Mais il faut expliquer pourquoi il n’est pas opposé à la loi éternelle, et donc pas mauvais en soi, que Dieu concoure immédiatement avec la cause seconde à l’acte peccamineux, alors qu’il serait mauvais en soi qu’il le prescrive ou y meuve.

Les théologiens de Salamanque, Soto (De natura et gratia, t. I, c. xvin) et Cano (De locis theologicis, c. iv, ad 8um) ; tirent argument de ce que Dieu coopère à la manière d’une cause naturelle et en quelque sorte nécessairement, pour conclure que les actes mauvais doivent lui être attribués quant à leur être naturel, non quant à leur malice. Mais Dieu n’a-t-il pas établi librement la loi de sa coopération ? La vérité est que le concours divin, ne s’exerçant pas sur la cause seconde et étant par lui-même indifférent, ne détermine pas l’action de cette cause, mais est déterminé par elle ad speciern actionis. Si les actes libres sont tels ou tels, et par conséquent bons ou mauvais, ils ne le doivent donc pas à Dieu, mais à la volonté libre. Nul ne rend responsable d’un crime l’artisan qui a fabriqué le glaive dont s’est servi le meurtrier. (Q. xiv, a. 13, disp. XXXII, p. 182-188.)

Ainsi, nos actes mauvais sont en dehors de la lin pour laquelle Dieu nous a donné la liberté et son concours général. Il ne les veut, ni comme auteur de la nature, ni comme législateur, puisqu’il les défend et cherche à en détourner ; il voudrait qu’ils ne soient pas, si nous le voulions nous-mêmes, mais il les permet en vue d’un plus grand bien : l’exercice normal de notre volonté libre. Quant à nos œuvres bonnes, il les veut d’abord d’une volonté conditionnelle, si nous Les voulons nous-mêmes librement : c’est ainsi qu’il veut le salut de tous les hommes ; mais prévoyant celles qui émaneront de notre volonté libre, il les approuve cl les veut d’une volonté absolue.

En résumé, la bonté naturelle, qui appartient à tout acte comme tel, doit être rapportée à l’auteur de la nature et à la cause première ; la moralité, être de raison, qui résulte d’un rapport de l’acte avec la loi divine, doit être rapportée à la volonté, comme à sa cause particulière et libre. (Q. xiv, a. 13, disp. XXXIII, p. 188-197.)

3. Source de la contingence des choses.

Scot la cherche uniquement dans la liberté divine (In /'"" , SV/iL, dist. II, q, n ; dist. VIII, q. v ; dist. XXXIX ; <i In /Juin, dist. I, q.m) : « Si l’action de Dieu était néces

saire, dit-il, tout arriverait nécessairement et il n’y aurait pas d’effet contingent. »

Cette théorie, Incompatible avec l’existence et