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MOLINISME, LE CONCOURS DIVIN


l’exercice de la liberté humaine, paraît reposer sur une fausse conception du concours divin, qui le fait s’exercer sur la cause seconde. Puisque ce concours agit avec la cause seconde, dit Molina, et qu’il suffît pour qu’un effet soit libre, qu’une partie de sa cause intégrale le soit, il faut admettre que, si le concours général de Dieu était nécessaire, il ne supprimerait pas pour cela la contingence des choses ; pas plus que la grâce prévenante ou coopérante, si elle était donnée nécessairement au lieu de l'être librement, ne supprimerait notre liberté. (Q. xiv, a. 13, disp. XXXV, p. 203-206.)

2° Le concours particulier de Dieu avec la volonté libre pour la production des actes surnaturels. — Outre le concours général, Dieu donne à l’homme des secours particuliers ou « quotidiens », qui tous peuvent être appelés des grâces, en ce sens qu’ils sont gratuits. Ce sont, par exemple, des prédications, des exhortations, des lectures, de pieuses inspirations de la part des anges, etc. Mais on réserve d’ordinaire le nom d’auxilia gratise à ceux qui donnent aux œuvres un caractère surnaturel, et qui se rapportent au salut en ce qu’ils disposent à la grâce sanctifiante et au mérite. C’est en ce sens qu’on les entend ici. (Q. xiv, a. 13, disp. XXXVI, p. 206-208.)

1. Nature de ce concours.

On l’a vii, quand Dieu

touche et excite l'âme par la grâce prévenante, celle T ci reste libre de consentir ou non et donc de faire ou de ne pas faire l’acte de foi, d’espérance ou de contrition. Il est évident, par conséquent, que la grâce prévenante et la liberté sont deux parties d’une cause intégrale unique, et que ces actes salutaires dépendent de leur influx à chacune. Ils tiennent de la volonté libre leur substance, et de la grâce leur caractère surnaturel et salutaire ; ils peuvent être dits tout entiers de la volonté et tout entiers de la grâce prévenante ou de Dieu agissant par elle, et pourtant ils ne sont de chacune que comme d’une partie de leur cause intégrale.

Il va de soi, par conséquent, qu’on ne saurait confondre la grâce prévenante avec les actes auxquels elle porte la volonté.

Enfin, le libre arbitre et la grâce prévenante sont causes secondes des actes salutaires. Ils ne suffisent pas à leur production, car une cause seconde, même surnaturelle, ne peut agir que moyennant un concours simultané et immédiat de Dieu sur l’effet. L’acte salutaire émane donc tout entier, quoique diversement, de trois parties d’une cause intégrale unique : le concours général de Dieu, la volonté libre, la grâce prévenante. Celle-ci n’est d’ailleurs pas nécessaire absolument, en ce sens que Dieu aurait le pouvoir absolu, parce que cela n’implique pas contradiction, de compenser l’influx de la grâce prévenante par un influx immédiat et simultané, analogue à celui du concours général mais beaucoup plus puissant, qui rendrait les actes tels qu’ils seraient si la grâce prévenante les précédait. (Q. xiv, a. 13, disp. XXXVII, p. 208-210.)

Dominique de Soto (De natura et gratia, t. I, c. xvi) et André de Vega (In concil. Trid., t. VI, c. vi-xi) exigent, outre la grâce prévenante, un autre secours particulier, par lequel Dieu concourt immédiatement avec la volonté libre pour la mouvoir à l’acte salutaire. Ils font même dépendre de l’intensité de cette grâce « coadjuvante », le degré de ferveur de l’acte, parce que « mouvoir et être mû sont corrélatifs ». Molina a bien des raisons de ne pas partager leur opinion :. il ne voit pas la nécessité de cet autre secours particulier ; il proteste contre le nom qui lui est donné, puisque dans le langage des Pères et du concile de Trente (sess. vi, c. v et can. 4), la grâce prévenante devient coopérante par le fait que la volonté y con sent ; il affirme que l’intensité de l’acte ne dépend pas exclusivement du secours de Dieu, mais de l’influx de la volonté libre, puisqu'à des secours égaux correspondent des actes inégaux. (Conc. Trid., sess. vi, can. 7.)

Peut-être Soto et Vega ont-ils simplement pensé qu’il faut, pour les actes surnaturels, un concours d’une autre espèce que pour les actes purement naturels. Tel n’est pas l’avis de Molina : chaque fois qu'à côté d’une cause seconde naturelle il voit une cause seconde apte à produire un effet surnaturel, il attribue à celle-ci le caractère surnaturel de l’acte, et ne croit pas que l’influx immédiat de Dieu avec elle soit d’une autre espèce, que celui par lequel il concourt à l’action des causes naturelles pour produire des effets naturels. Ainsi, la volonté libre, une fois douée des habitus surnaturels de foi, d’espérance, etc. peut, avec le seul concours général de Dieu, produire des actes surnaturels de foi, d’espérance, etc. Ainsi encore, l’intelligence, quand elle est pénétrée de la lumière de gloire, peut, avec le seul concours général de Dieu, produire la vision béatifique. De même, la volonté libre aidée de la grâce prévenante peut, avec le seul concours général de Dieu, produire un effet surnaturel. (Q. xiv a. 13, disp. XXXIX, p. 222-226.)

De tout ceci ressortent clairement deux différences entre le concours général pour les actes naturels et le secours de la grâce prévenante pour les actes surnaturels : 1. Le concours général ne s’exerce pas sur le libre arbitre comme cause des actes naturels, mais avec le libre arbitre sur ces mêmes actes. — La grâce prévenante meut le libre arbitre et le rend capable de produire avec elle des actes surnaturels. 2. Par suite, le concours général ne précède, ni dans le temps, ni par nature, l’action du libre arbitre : les deux influx qui dépendent l’un de l’autre sont simultanés, unis pour produire l’effet unique. — La grâce prévenante, au contraire, précède d’ordinaire, dans le temps ou par nature. l’influx de la volonté libre et peut ne pas aboutir, lorsque la volonté se refuse à coopérer avec elle,

Mais la grâce prévenante a raison de grâce coopérante quand la volonté libre agit avec elle. A ce titre, son influx ne précède ni dans le temps, ni par nature celui de la volonté. Bien plus, ces deux influx sont simultanés avec le concours général et dépendent l’un de l’autre. Tous trois constituent la cause intégrale unique de l’acte surnaturel.

Les mêmes conclusions valent pour les habitus surnaturels de foi, d’espérance, de charité et pour les dons du Saint Esprit, qui ont raison de grâce prévenante et coopérante par rapport aux actes qui en émanent. (Q. xiv, a. 13, disp. XL, p. 239-241.)

Reste à se demander comment naissent les mouvements de la grâce prévenante et si nos facultés : intelligence et volonté, y concourent efficacement. Vega juge plus probable que leur unique cause efficiente est Dieu et que nos facultés les reçoivent passivement (In Concil. Trid., . VI, c. vin). Soto pense au contraire que ces mouvements sont produits simultanément avec Dieu par l’intelligence et la volonté (De natura et gratia, t. I, c. xvi). Molina ne doute pas que cette dernière opinion ne soit la vraie. L’illumination surnaturelle de l’intelligence ne consiste pas, selon lui, dans l’infusion de nouvelles « espèces », mais dans l’octroi d’un secours pour aider à comprendre autrement des pensées proposées ou suggérées par ailleurs. De même, la motion surnaturelle de la volonté n’est pas une impulsion nouvelle, mais un secours pour donner valeur surnaturelle à des mouvements consécutifs à la connaissance. Pensée et tendance étant des actions vitales, il faut bien qu’elles émanent en partie de l’intelligence et de la volonté.

Ainsi, par la grâce, Dieu ne remplace pas, mais