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MOLINISME, LA PRÉDESTINATION


qu’elle appelle prédestinés ne seront pas sûrement sauvés. (Ibid., memb. 3, p. 442-444.)

D’autres affirment que la raison de la prédestination est la prévision du bon usage de la liberté qui précède, au moins par nature, la première grâce justifiante. C’est, malgré des divergences parfois profondes, l’opinion commune d’Henri de Gand, de saint Bonaventure, d’Alexandre de Halès, de Gabriel Biel, de Javellus, de Thomas de Strasbourg, d’Albert Pighius, de Barthélémy Camerarius. Sans aller, avec Soto, jusqu'à la taxer de pélagianisme, Molina la juge fausse et peu sûre, si on la comprend en ce sens que Dieu réglerait éternellement la dispensation de ses dons sur la prévision de l’usage qu’en fera la volonté libre ; parce qu’alors celle-ci serait, en fait, la source de la prédestination. (Ibid., memb. 4, p. 446-453.)

La même raison suffit à faire rejeter l’opinion, signalée par saint Thomas, d’après laquelle les prédestinés le sont parce que Dieu prévoit qu’ils feront bon usage de la première grâce reçue. (Ibid., memb. 5, p. 453455.)

L’opinion de saint Thomas, la plus commune parmi les scolastiques, tient en deux propositions :

1. Bien n’empêche les effets particuliers de la prédestination de se commander les uns les autres comme causes finales ou méritoires. Nous disons, par exemple, que Dieu a préétabli qu’il donnerait à quelqu’un la gloire en raison de ses mérites (les dispositions de l’homme sont cause méritoire de la gloire), et qu’il lui donnerait la grâce pour qu’il méritât la gloire (la gloire est cause finale des mérites et de la grâce) ;

2. La prédestination, dans son effet intégral, n’a pas de cause dans le prédestiné, mais seulement en Dieu. De toute éternité, Dieu a élu et prédestiné les uns pour manifester sa bonté, et réprouvé les autres pour manifester sa miséricorde. Mais s’il prédestine ou réprouve précisément tels ou tels individus, il n’y a pas de raison à cela, sinon qu’il l’a librement voulu et qu’il est maître de ses dons.

Tout ceci, Molina l’admet, encore qu’il rejette plusieurs des explications qu’on a cherché à en donner. 1. Certains distinguent un double secours divin, l’un efficace, l’autre suffisant mais inefficace, en attribuant à la seule volonté divine ce caractère d’efficacité ou d’inefficacité. Dieu, disent-ils, a voulu prédestiner tels ou tels, parce qu’il a voulu leur donner des grâces efficaces de vocation et de persévérance, tandis qu’aux autres il a donné des grâces suffisantes, mais inefficaces. Que deviennent dans ce cas, se demande Molina la liberté et la responsabilité? (Ibid., memb. 6, p. 455-469.) 2. Plusieurs font précéder la prédestination et la réprobation de la prévision du péché, ou du moins du péché originel. Dieu, disent-ils, avec saint Augustin, voyant tout le genre humain infesté par le péché d’origine et voué en bloc à la perdition, a voulu de toute éternité donner à certains, par le Christ, des moyens efficaces de salut. Il l’a fait gratuitement, sans qu’il y ait à cela aucune raison de la part des hommes. Quant aux autres, il n’a pas voulu user à leur égard des mêmes bienfaits, mais les a laissés dans la masse de perdition et par suite a voulu les punir. Solution insuffisante, affirme Molina, car Dieu n’a pas seulement voulu le salut de tous dans l'état d’innocence ; il veut sauver, par le Christ, tous les hommes déchus.

2. Principes de solution.

La question du rapport nécessaire de la prescience et de la prédestination mérite d’ailleurs examen. Saint Thomas (III a, q. i, a. 3, ad 4° iii) affirme que la prédestination présuppose en Dieu la connaissance des futurs. Cette proposition, si on l’applique à tous les futurs et dans le sens d’une prescience absolue, non hypothétique, est évidemment fausse ; aussi Cajétan 1 entend-il seulement des futurs contin gents de l’ordre surnaturel. En réalité, avant la prédestination des hommes et du Christ comme homme, donc avant d’avoir décidé l’incarnation, Dieu a connu tous les futurs contingents, non comme absolus, mais comme hypothétiques : il a su, partie par sa science purement naturelle, partie par sa science moyenne, ce qui se produirait s’il voulait établir l’ordre de choses naturel et surnaturel qu’il a établi en fait, et ce qu’auraient fait librement, dans tous les ordres possibles, les anges et les hommes. Il faut donc se le représenter, avant tout acte de sa volonté libre, prévoyant que, sans le Christ, certains anges et tout le genre humain se perdraient, et qu’il pourrait donner à l’homme un Christ rédempteur. Alors, d’un même acte de volonté, il a choisi l’ordre de choses qui a été et sera réalisé, et qui comprend la nature, la grâce et l’union hypostatique.

Ce choix (electio) impliquait l’intention de créer les anges et les hommes dans l'état d’innocence pour que, par leur volonté aidée de la grâce, ils arrivassent à la béatitude ; l’intention aussi de leur donner à tous cette béatitude, s’ils n’y mettaient pas d’obstacle. Le choix de cet ordre de choses était donc prédestination, pour les anges que Dieu prévoyait devoir parvenir à la vie éternelle. Pour les autres anges et pour les hommes, il était seulement providence, jointe à la volonté de permettre le péché. Il devint réprobation pour les premiers, en raison de la prévision de leur chute, et de la volonté de les exclure du royaume céleste. Quant aux hommes, dont Dieu prévoyait la chute générale en raison du péché originel, ce même choix impliquait la volonté de leur donner un rédempteur et de leur procurer à tous les moyens de salut. A ce point de vue, cet acte unique de volonté divine fut à la fois élection et prédestination du Christ, et providence pour tous les hommes, jointe à la volonté de permettre le péché actuel. En raison de la prévision de salut, il fut aussi élection dans le Christ et par le Christ de tous ceux qui, par sa grâce et ses mérites, arriveraient à la vie éternelle. (Q. xxiii, a. 4 et 5, disp. I, memb. 8, p. 477-490.)

Dans quelle mesure l’effet intégral de la prédestination dépend-il de la volonté libre ? Laissons de côté les enfants qui meurent avant d’avoir l’usage de la raison : leur prédestination est liée uniquement à la réception de dons gratuits, c’est-à-dire du baptême. Les adultes, évidemment, ne sont pas prédestinés à cause de leurs mérites ; ils le sont néanmoins par leurs mérites. Leur salut dépend, en effet, de l’usage qu’ils font librement des dons de Dieu ; et le bon usage de leur volonté libre, qu’il s’agisse de la disposition à la foi, à l’espérance, à la charité et à la première grâce habituelle, ou des œuvres surnaturelles auxquelles sont promises une augmentation de grâce et la vie éternelle, ou encore de l’abstention du péché, de la résistance aux tentations, de la victoire sur les difficultés, dépend à la fois de deux causes libres : Dieu et la volonté, agissant chacune comme partie d’une cause intégrale unique. Si donc on considère le bon usage de la volonté libre en tant qu’oeuvre de Dieu, il est inclus dans l’effet intégral de la prédestination de l’adulte, comme une de ses parties. Si, au contraire, on le considère en tant qu'œuvre de la volonté libre, il est ce que Dieu exige pour coopérer au salut et ce qui rend l’homme digne de récompense éternelle par ses propres mérites, qui sont aussi des dons de Dieu.

De même donc que, dans l’envoi d’une flèche vers le but, il faut distinguer la flèche qui est envoyée, et le mouvement imprimé par le sagittaire qui la destine au but ; de même, dans la destination d’un adulte à la vie éternelle, il faut distinguer l’adulte doué de liberté et de responsabilité, et les moyens par lesquels Dieu