la liberté humaine ? Sur ce point, tous les théologiens de la Compagnie de Jésus sont d’accord avec Molina contre les thomistes, pour rejeter l’efficacité ab inlrinseco de la grâce et la prédétermination physique ad unum qu’elle suppose.
Tous sont d’accord aussi pour soutenir que la raison extrinsèque » de l’infaillibilité de la grâce efficace doit être cherchée dans la science moyenne, c’est-à-dire dans la connaissance que Dieu a des futurs contingents conditionnels.
Telle est l’essence du molinisme considéré dans son double aspect, négatif : rejet de la prédétermination physique et de la grâce efficace ab intrinseco, et positif : affirmation de l’existence en Dieu d’une science moyenne, et utilisation de cette science pour concilier l’infaillibilité de la grâce et le libre arbitre.
A cet enseignement fondamental, qui devint sa doctrine officielle, la Compagnie de Jésus resta fidèle, comme en font foi les décrets et ordonnances de ses généraux successifs : Aquaviva, 14 déc. 1613 ; Vitelleschi, 7 juin 1616 ; Piccolomini, 1651. Voir art. Jésuites, t. viii, col. 1026-1038. Mais ses théologiens demeurèrent libres d’avoir leur opinion sur les points secondaires, tels que le point d’insertion du concours divin, le point d’application de la science moyenne, le rôle de cette science dans la prédestination, le caractère de la prédéfinition des bonnes œuvres, la raison de l’efficacité de la grâce. On peut dire que tous apportèrent de sérieux amendements à ce qu’avait dit l’auteur de la Concordia sur le pouvoir du libre arbitre laissé à lui-même.
II. Les modalités du molinisme. —-1° Les forces du libre arbitre. — Les forces naturelles accordées par Molina, dans l'état présent, à notre intelligence et à notre volonté, ont paru excessives à beaucoup.
Très peu de temps après la publication de la Concordia, au début de 1589, Bellarmin déclare à son général, Aquaviva, désapprouver les propositions suivantes de Molina qui avait été soumises à la censure :
Homo in statu peccati potest ex suis naturalibus sine airxilio gratis diligere Deuin super omnia dilectione naturali, et voluntate absoluta, sicqncd habeat absolutum propositum servandi omnia pra-cepta. Imo hoc propositum est siFpius in peccatore majusquam in homine justificato.
Hoc propositum absolutum potest esse in peccatore taie et adeo sullicicns, ut ad actum contritionis supernaturalis mhil lia de final.. nisi modus i Me supernaturalis et divinus, qui sit ab auxilio gratis.
K naturalibus ipsius liberi arbitrii possumus haherc actum contritionis quantum ad substantiam modo pnedicto, ut videlicet nihildeficiat ibi, nisi modus ille supernaturalis.
Si pelagiani ponerent in nobis actus naturales similes iis qnos habemus supernaturales, dummodo faterentur cos non esse sullicientc-s ad salutem, nihil de bec curaret Ecclesia.
Vers la même époque, il releva lui-même comme insoutenables les affirmations de Molina d’après lesquelles l’homme peut, sans secours spécial de Dieu : 1. faire un acte de foi naturel aux mystères en tant qu’ils sont révélés par Dieu ; puis un acte d’espérance et un acte de charité naturels, ou quoad substantiam actus ; et avoir un ferme propos absolu d’observer tous les commandements, suffisant pour l’attrition et la contrition quoad substantiam actus ; 2. se repentir de ses péchés, par les vertus de foi et d’espérance ; 3. probablement vaincre toute tentation, si grande qu’elle soit ; 4. obtenir, s’il fait ce qu’il peut, l’octroi de la grâce. X. le Bachelet, Auctarinm, p. 18-19.
De cet le position, le bienheureux ne se départit pas. Dans un écrit présenté à Clément VIII, en 1597, il disait : Ludovictu Molina in modo loquendi tic liberi arbitrii viribus nonnullis videtur excessisse, Auctu rium, doc. vi, p. 120, col. 1. Mis en présence des censures portées par les consulteurs romains en 1600, il en approuve cinq qui portaient sur le même objet. Op. cit., doc. xii, p. 177-178. Enfin, dans une note énumérant des propositions qu'à son avis on pourrait définir, il en propose plusieurs disant ce que l’homme ne peut pas faire avec les seules forces naturelles : il ne peut surmonter aucune vraie tentation de manière à la vaincre parfaitement ; il ne peut croire, aimer, se repentir comme il le faut pour que ces actes puissent être une disposition à la justification ; il ne peut faire en sorte que la grâce lui soit due, etc. Op. cit., doc. xiii, p. 179.
Sans entrer dans plus de détails, on peut dire que les sages précisions ou distinctions de Bellarmin en ces matières ont fait autorité auprès des molinistes.
2° Le concours dii’in. -- Les examinateurs de Molina ont relevé, comme digne de censure, la théorie d’après laquelle Dieu, par son concours général, n’influe pas sur les causes secondes en les portant à l’action, mais immédiatement sur leurs opérations. Bellarmin, dans son opuscule De novis contronersiis (1597 ou 1598), distingue deux controverses sur la coopération ce Dieu avec le libre arbitre. — 1. Dieu coopère-t-il en mouvant le libre arbitre ou bien en produisant le même effet que lui comme cause partielle ? La première opnion est celle des censeurs, la seconde celle de Molina. Bellarmin préfère la première, parce que c’est celle de saint Thomas et qu’il la trouve plus conforme à la philosophie ; il ne condamne pas cependant la seconde, qui fut celle de Tolet et de bien d’autres.
2. Si l’on admet que Dieu, coopérant avec le libre arbitre, le meut, une deuxième question surgit : le meut-il en le déterminant à l’action, ou le laisse-t-il se déterminer lui-même ? C’est l’objet d’une seconde controverse, « la principale de celles qui divisent dominicains et jésuites en Espagne ». Sur ce point, Bellarmin préfère la doctrine de Molina qu’il juge plus sûre. X. Le Bachelet, Auctarium, opusc. V, p. 107109. Il s’accorde donc avec tous les molinistes pour nier la prédétermination physique, mais s'écarte de plusieurs en ce qu’il admet une motion sur le libre arbitre.
3° La science moyenne.
Tous les théologiens
admettent que Dieu connaît les futurs libres conditionnels. Il les connaît, disent les thomistes, dans les décrets prédéterminants de sa volonté. Non, disent les molinistes ; puisque l’existence de ces futurs suppose l’intervention d’une volonté libre, il faut dire que Dieu en a ur.e science spéciale, intermédiaire entre sa science libre et sa science purement naturelle : la science moyenne. Mais les molinistes ne s’accordent plus quand il s’agit d’expliquer cette science.
1. Explication par la super-ccmpre’hension des causes — « Dieu, disait Molina. voit les futurs conditionnels dans les volontés créées : non seulement il connaît toutes les circonstances dans lesquelles celles-ci se trouveront et les motifs qui agiront sur elles, mais il les pénètre elles-mêmes si profondément qu’il voit clairement ce qu’elles feraient, en toute liberté, dans l’infinité des circonstances possibles. » (q. xxiii, a. 5). C’est la théorie qu’on a appelée de la super-compréhension des causes. Elle a été admise par Bellarmin, De novis controversiis (dans Le Bachelet, Auctarium, p. 106-107) ; De gratia, iv, 15 ; et plusieurs molinistes s’y rallient encore aujourd’hui, ainsi Kubn, Allgrmeine (iotteslehre, § 55, et A. d’Alès. Providence et libre arbitre. Paris, 1927, qui voit dans Veminentissima comprehensio « une pièce constitutive et Indispensable dans les descriptions de la science moyenne de Molina i. 1°. 99.
Entendue au sens passif, comme elle l’a été souvent, cette explication soulève, semhle-t-il, de graves