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MESSIANISME, LE PROTÉVANGILE


Les commencements en sont conservés dans la Genèse. Les textes qui les contiennent ne sont ni nombreux ni étendus. Le Protévangile, la bénédiction de Noé, la promesse faite à Abraham, la bénédiction de Jacob, telles sont les prédictions de l’époque prémosaïque que la tradition regarde comme messianiques. Pour la grande majorité des critiques modernes elles sont aussi peu authentiques que messianiques. On peut cependant se rendre compte qu’elles gardent toujours une valeur objective.

Le Protévangile.

 Depuis l’époque patristique

jusqu’à la fin du xixe siècle, le célèbre texte, Gen., iii, 15 : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et son lignage ; il t’écrasera la tête et toi tu lui écraseras le talon » figurait en tête de tous les exposés relatifs au messianisme et était regardé comme un des oracles les plus importants. Aujourd’hui il se trouve souvent déprécié et même complètement rayé de la liste des prophéties messianiques. Huhn, par exemple, Die messianischen Weissagungen, 1898, p. 134, le range dans un appendice parmi les passages « interprétés à tort comme messianiques » parla théologie traditionnelle, et Richter, Die messianische Weissagung und ihre Erjùllung, 1905, p. 16, termine son exposé sur le « célèbre protévangile », p. 13, en disant qu’il ne contient aucune prophétie.

Tous ceux, néanmoins, pour qui le christianisme est encore la religion de la rédemption de l’humanité déchue, tiennent le récit de la chute, Gen., iii, pour un texte qui a un fond historique, et le t. 15 pour la première bonne nouvelle que Dieu adressa aux hommes tombés. Si, au contraire, ce chapitre ne contenait qu’un antique mythe païen sous une forme monothéiste ou la simple spéculation d’un sage israélite sur l’origine du mal, le ꝟ. 15 que les Pères ont nommé le TcpwTOv eùayyéXi.ov serait le Trpwxov iJ’SÙSoç de l’histoire humaine.

Les paroles : « Je mettrai une inimitié, etc. » restent donc pour nous le protévangile. Pour comprendre dans quel sens elles le sont, il faut savoir d’abord que Dieu proclame par elles non seulement la lutte entre la femme et le serpent ainsi qu’entre la progéniture de l’une et de l’autre, mais aussi et surtout la défaite du serpent et de son lignage. Il faut relever cette idée générale de l’oracle parce que plusieurs exégètes modernes, entre autres Huhn, p. 136, Richter, p. 14, H. Gunkel, Die Genesis ùbersetzt und erklàrt, 1910, 3e édit., p. 21, O. Procksch, Genesis ùbersetzt und erklàrt, 1913, p. 36, prétendent qu’il s’agit uniquement là d’un combat qui serait aussi redoutable et néfaste pour l’un que pour l’autre des deux partis. Cette conception apparaît déjà dénuée de fondement par le fait que l’on entend Dieu prononcer une sentence pénale sur le serpent. Cette sentence serait bien illusoire, si l’ennemi du serpent ne devait pas prévaloir contre lui. Elle est en outre contredite par le fait que le verbe sûf a bien, d’après Job, ix, 17, voir P. Dhorme, Le livre de Job, 1926, p. 123 sq., le sens d’écraser ; or écraser la tête d’un serpent, c’est le rendre inoffensif.

Il faut ensuite se demander quels sont les deux adversaires dont la lutte se termine par la défaite de l’un d’entre eux. Depuis saint Irénée, Conl. hær., III, xxiii, 7, on voit dans le protévangile la promesse de la victoire du Christ sur l’ennemi infernal de l’humanité. Cette conception a reçu dans la Bible latine, en tant qu’il s’agit du vainqueur, un relief particulier par le fait que le pronom hébreu hu, qui se rapporte à lignage, n’y est pas traduit par ipsum en relation avec ie neutre semen, mais dans la Vêtus Itala par ipse, et dans la Vulgate par ipsa. Les traducteurs de la Vêtus Itala, en choisissant à l’exemple des Septante le masculin du pronom, interprétaient semen dans un sens

individuel et l’appliquaient au Messie. Saint Jérôme en rendant hu par ipsa ne pensait même plus à semen, mais à mulier et la femme qu’il visait n’était pas la première Eve, mais la seconde, Marie qui, comme mère du Sauveur, est associée à sa victoire.

Cette interprétation précise la portée d’une promesse qui est en soi tout à fait générale ; car c’est à la descendance de la femme, donc à toute l’humanité que la lutte est prescrite et que la victoire est annoncée. Cette première prophétie n’indiquait pas encore quand et de quelle façon cette victoire serait remportée. Surtout il n’en résultait pas qu’un personnage individuel devait être le héros de ce combat et procurerait par son succès le triomphe aux autres.

L’humanité est donc l’un des deux partenaires. L’autre n’est pas aussi aisé à déterminer. D’après la lettre du texte il semble que ce soit uniquement le serpent, c’est-à-dire l’animal que nous désignons par ce mot. C’est par sa propre astuce — - « il était plus rusé que tous les animaux que Dieu avait créés », m, 1 — qu’il réussit à faire succomber l’homme. C’est lui qui est puni par la transformation de sa nature : au lieu de marcher sur des pattes, il rampera dorénavant sur le ventre et mangera de la boue. C’est au serpent que l’homme doit écraser la tête. En lui-même le texte du récit ne laisse donc pas entendre que le reptile soit le porte-parole d’un autre être, supérieur à lui et usant de lui pour causer la chute de l’homme. Cette conception semble exclue en outre par le fait que, dans ce cas, le coupable aurait échappé à la punition, tandis que la victime innocente aurait enduré le châtiment.

D’autre part, le tentateur de l’homme est peint sous des traits qui excluent un vrai serpent ; autrement il faudrait, avec Josèphe, Ant., i, i, 4, et ie Livre des Jubilés, iii, supposer qu’au paradis cet animal avait l’intelligence et la faculté de parler, et que l’ordre de lutter contre lui reçu par l’humanité ne serait que celui d’écraser des serpents.

Ce fait en apparence contradictoire qu’un serpent est en jeu et qu’il ne s’agit pas néanmoins d’un véritable serpent peut être expliqué de trois façons. Le serpent est conçu par le narrateur ou bien comme un être fabuleux, ou bien comme un être démoniaque, ou bien comme un symbole de la puissance qui a détourné l’homme de Dieu.

La première interprétatioifest surtout très en vogue depuis Kant. D’après celui des exégètes contemporains qui a le plus contribué à la répandre, H. Gunkel, Die Genesis, p. 21, cf. Protevungelium, dans Die Religion in Geschichte und Gegenwart, t. iv, 1913, col. 1921, le protévangile n’est qu’une de ces fables si nombreuses chez les peuples primitifs qui racontent, « comment tel ou tel animal a acquis ses qualités extraordinaires, par exemple, l’âne ses longues oreilles. » Cette explication ne serait acceptable que si le serpent était la figure principale de la narration, et s’il ne s’agissait pas d’un récit sacré et de l’événement le plus funeste pour toute l’humanité. Quiconque admet une révélation par laquelle la Providence a voulu communiquer à l’humanité certaines vérités capitales sur son origine, son état et sa destinée, doit écarter une telle explication comme incompatible avec la foi.

D’après la seconde interprétation, l’auteur biblique aurait supposé qu’un démon infernal a tenté les premiers hommes et qu’il a pris pour cela la forme d’un serpent : Zapletal, Alttestamentliches, 1903, p. 23 sq. ; Fèldmann, Parodies und Sùndenfall, 1913, p. 247, 506 ; Hehn, Zur Paradiesesschlange, dans Festschrijt fur Seb. Merkle, 1922, p. 137 sq. ; L. Dûrr, Ursprunç und Ausbau der isrælitisch-jiidischen Heilandserwartung, 1925, p. 69 sq. Pour rendre cette hypothèse pro-