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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. NATURE DE L’UNIVERSEL

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b. Comment distinguer Soerate en tant que Soerate et Soerate en tant qu’homme ? On accorde, en effet, qu’ils ne font pas deux, mais sont une seule et même chose, res penitus eadem. Envisagée à chaque moment de son existence, aucune chose n’est distinguée de soi, car tout ce qu’elle possède en elle-même, c’est elle qui le possède et d’une seule et même façon : nulla enim res coclem tempore a se diversa est, quia quicquid in se habet, habet et eodem modo penitus. Ainsi, Soerate est blanc et grammairien, mais pas plus que blanc, ou grammairien, n’est autre chose que soi, Soerate n’est pas blanc ou grammairien autrement qu’il n’est lui-même ; il possède cette diversité : blanc et grammairien, mais elle ne le rend pas divers de soi. Unde et S ocrâtes albus et grammalicus, licet diversa in se liabeal, a se tamen per ea non est diversus, cum utraque eadem ipse habeat et eodem modo penitus. Non enim alio modo a se ipso yrammaticus est vel alio modo albus, sicut nec aliud albus est a se velaliud yrammaticus, p. 15, 1. 39 ; p. 16, 1. 2.

c. Comment concevoir que Socrate et Platon conviennent en l’homme ? Tous les hommes en effet, nous l’avons vii, sont différents de matière et de forme. « En l’homme », in homine, cela veut dire ici, « en cette chose qui est l’homme », in re quahomo est ; mais cette chose, c’est Soerate ou un autre individu, et ce n’est ni en soi, ni en un autre que Soerate peut convenir avec Platon. Essaiera-t-on de remplacer « convenir » par « ne pas différer » ? en ce cas, non differt Socrates a Platone in homine ne signifie rien de plus que non difjert Socrates a Platone in lapide, à moins que l’on ne dise précisément : sunt homo, quod in homine non difjcrunt. Mais, puisque Soerate, ou Platon, c’est la chose même qui est l’homme, ipse autem sit res qiu ; homo est, impossible de les faire différer en tant que Soerate et Platon, ne pas différer en tant qu’hommes, p. 15, 1. 16-18.

Que l’on prenne les choses une à une, ou en collection, on ne peut les dire universelles pour autant que l’universel est l’attribut de plusieurs sujets : neque res singillatim neque collectim accepta’universales dici possunt in eo quod de pluribus pradicantur, p. 16, 1. 19-21. C’en est fait du réalisme qui appelle universelles ! es choses elles-mêmes.

3. Conclusion : La chose, c’est l’individu.

Tandis que se dissipe le mirage de la chose universelle, nous découvrons l’essence de la chose, qui est individuelle. Reprenons les formules les plus frappantes : omnibus eliam accidentibus remotis, in se una personaliter permaneret…, …nec ullo modo quod in una est, esse in alia, …nulla enim res eodem tempore a se diversa est, quia quicquid in se habet, habet et eodem modo penitus. Sous ce mot de chose qui dit toute réalité, il faut mettre l’idée d’individu : substance ou essence, divisée radicalement de toutes les autres, indivise en soi. Une telle chose exclut absolument l’universalité. En critiquant toutes les formes d’universalité réelle, Abélard nous montre ce que les choses sont, quid res essent.

Qu’est-ce que l’universel ? un signe : vox, nomen, sermo.

Abélard a refusé aux choses l’universalité qui est pra’dicari de pluribus ; il l’attribue aux mots : restât ut hujus modi universalitatem solis vocibus adscribamus. Éd. Geyer, p. 16, 1. 21-22. Dans les lignes qui suivent, nous retrouvons vox, nomen, sermo, les expressions caractéristiques de la doctrine d’Abélard ; cf. supra, 1°, 3. Nous devons en préciser le sens, ce qui nous obligera de montrer, après l’impossibilité de l’universel comme chose, sa possibilité comme signe. Nous quittons le problème de la chose, allons vers celui de ! a signification : nous passons sur l’autre versant.

1. Le nom, signe de la chose : dialectique et grammaire.

Pour appliquer aux mots la distinction du singulier et de l’universel, Abélard se réfère à la distinction grammaticale des « noms propres » et des « noms communs » : Sicut igitur nominum quwdam appellativa a grammaticis, qua-dam propria dicuntur, ita a dialecticis simplicium sermonum quidam universales, quidam particulares, scilicet singulares appcllantur, p. 16, 1. 22-25. Nous apercevons ici la parenté de la dialectique et de la grammaire, qui traitent toutes deux de vocibus. Voici comment nous apparaît l’universel : Est autem universale vocabulum quod de pluribus singiilalim habile est ex inventione sua pr ; vdicari, ut hoc nomen « homo », quod particularibus hominibus conjungibile est secundum subjectarum rerum naturam quibus est imposilum, p. 16, 1. 25-28. Ces derniers mots nous introduisent dans la dialectique : le grammairien tient pour valide la liaison : homo est lapis ; il regarde si les cas sont corrects, la proposition complète, cela lui suffît ; peu lui importe ce qui est ou n’est pas, sive ita sit, sive non ; il ne traite pas des mots pour autant qu’on parle ad ostendendum rei stalum, p. 17, 1. 11-19. La position du dialecticien est tout autre ; à la différence du lien grammatical, la liaison logique se fait du point de vue des choses, du point de vue de la vérité : preedicationis vero conjunctio quam hic accipimus, ad rerum naturam perlinet et ad verilatem status earum demonstrandam, p. 17, I. 19-20. Cette logique du langage peut nous sembler une grammaire, mais les mots qu’elle étudie sont tournés vers les choses, et par là, elle se distingue consciemment de la grammaire.

2. L’emploi de vox, nomen, sermo, dans la Logique " Ingredientibus ».

L’universel est tour à tour vox, nomen, sermo : ces termes paraissent ici synonymes. On peut cependant marquer des différences.

Référons-nous à la définition aristotélicienne du nom : vox significativa secundum placitum sine tempore, cujus nulla pars est significativa separala. Abélard la commente après Boëce. Éd. Geyer, p. 334 sq. Nous négligerons sine tempore, qui distingue le nom du verbe ; la distinction ne nous intéresse pas, le verbe aussi étant universel. Vox paraît ici un genre, dont nomen est une espèce : genus est nominis. lbid., p. 335, 1. 1. Significativa met le nom dans ! a même classe de voces que l’aboiement, par lequel le chien manifeste sa colère : Significare Aristoleles accipit per se intelleclum conslituere, significativum autem dicitur quidquid habile est ad significandum ex instilulione aliqua sive ab homine facta sive natura. Nam latratus natura’artifex, id est Deus, ea intentione cani contulit, ut iram ejus reprasenlarel ; et volunlas hominum nomina et verba ad significandum instituit. Ibid., p. 335, 1. 29-34. Secundum placitum marque précisément que le nom est une institution des hommes ; l’aboiement est un signe naturel, vox naturaliler signi/icans, loc. cit. p. 340, 1. 19 ;  ! e nom ne l’est pas : nec plus valet « secundum placitum » quam si diceret : « non naturaliter », hoc est non institutione naturæ sed hominum imponentium voluntate, Ibid., p. 340, 1.27-29. Le caractère du nomen, c’est de signifier, et de signifier par institution des hommes. La traduction « nom » est tout à fait acceptable.

En revanche, « mot » peut bien remplacer vox aux cas où l’on pourrait aussi bien employer nomen ; cf. supra, 2°, 3. Cependant, « mot » ne rend pas vox qui nous établit dans la physiologie : aeris per linguam percussio qua per quasdam gutluris venas quw. arteriw vocantur ab animali pro/ertur. Ibid., p. 335, 1. 3-4. C’est la définition de Boéce. L’aboiement, nous l’avons vii, est une vox ; la toux ne l’est point ; cf. 1. 9-11. Comme traduction possible : « son proféré » ; cf. A. M. Sev. Boetii commentarii in librum Aristotelis Ilepl épfZY ; veîac, éd. Meiser, part, post., p. 4, 1. 18 sq.