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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. LA TRINITÉ

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bon, comme le croyait Pelage, ni même la charité infuse, comme l’admet Auriol, ne nécessitent Dieu à donner la béatitude ; et la doctrine qui le conçoit comme n’étant nécessité par rien est celle qui s’éloigne le plus du pélagianisme.

Si l’on se fixe à ce point de vue de la toute-puissance, on ne voit dans la théologie nominaliste que l’idée d’un Arbitraire divin. Mais les textes nous invitent à ne point nous arrêter là.

Le Dieu de Pelage et celui même d’Auriol sont tenus, sous peine d’injustice, d’accepter certaines âmes ; cf. Occam, /// Sent., q. v, O : concluait quod (Deus] teneatur acceptare. La justification est une œuvre de justice, c’est pourquoi elle paraît nécessaire.

Occam et Biel s’éloignent de ces doctrines ; ils voient autrement la face divine : où prend-on que Dieu doive la vie éternelle à des créatures, de quelque perfection qu’elles soient douées ? Il n’est le débiteur d’aucune, ipse nullius debitor est. Occam, /// Sent., q. v, O. C’est le Dieu de saint Paul, à qui nul ne peut demander raison de ses actes, ipsc enim est cui nullus dicere potest : cut ita facis. Biel, Collecl., i, dist. XVII, q. i, F ; éd. Feckes, p. 12. Il est justice, mais cette justice qu’il est, justicia increata quæ Deus est, ne fait nécessité et obligation qu’à l’égard de Lui-même, dans l’amour nécessaire qu’il a de soi, neces’sario se diligit ; devant tout le reste, sa justice est aussi large que sa puissance, queecumque facere potest, faciendo justa sunt et justa sic ea facit, Biel, toc. cit., F. K, éd. Feckes, p. 12, 19-20, et son amour est toute liberté.

Cet amour, qui donne sans devoir, absolument libre de ses dons, c’est une pure libéralité, une miséricorde : nous avons souligné ces mots dans le texte d’Occam. Libéralité, miséricorde : c’est l’idée même de grâce que l’on sauve ainsi dans la théorie de la justification. Le Dieu de Pelage et celui d’Auriol sont nécessités par leur justice ; sa toute-puissance affranchit assez le Dieu d’Occam et de Biel pour qu’il ne soit, dans la justification, que miséricorde.

b. De la charité à la vie éternelle. — Envisager l’ordre de la grâce, tel qu’il nous est révélé, de potentia Dei absoluta, c’est montrer la contingence de la grâce créée ou de la charité infuse — pour Occam et Biel, c’est tout un — pour la justification. A travers cette contingence, c’est la libéralité divine qui paraît encore.

Si Dieu a lié l’acceptation à l’infusion de la charité, c’est par une initiative libre et miséricordieuse ; cf. le texte cité supra, col. 774. Il donne la grâce par pure bonté, libère et contingenter ex sua benignitate ; la grâce une fois donnée, c’est encore librement, gratuitement, qu’il accorde la vie éternelle, adhuc libère et misericorditer de gratia sua. Biel, Collect., i, d ; st. XVII, q. i, F ; éd. Feckes, p. 12.

Non seulement Dieu pourrait, dans l’œuvre de justification, se passer de la, grâce créée, mais il semble que, le pouvant, il aurait dû le faire, cf. supra, 1 (col. 765). Nous savons que ce point de vue est faux : avec la coopération de la grâce au salut, l’ordre de la justification n’est pas moins surabondant que l’ordre de la nature avec ses causes secondes, cf. supra, 2, d) (col. 769). L’ordre de la nature et celui de la grâce sont établis en dépit du principe d’économie, frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora. Nous sommes à l’opposé d’un Dieu qui, tel celui de Malebranche, agirait par les voies les plus simples ; cf. Henri Gouhier, La philosophie de Malebranche, Paris, 1926, p. 45 sq. ; l’amour divin n’est point réglé ici par un entendement qui le précède ; il est le principe radical de tout l’ordre créé.

c. De la bonne volonté à la grâce. — La même miséricorde qui est au principe de l’acceptation et fait le lien de la grâce avec la vie éternelle opère encore, pour Gabriel Biel, la liaison entre l’acte moralement bon et la première grâce.

Nous avons vu que, pour Occam, nous méritons en quelque façon que la grâce nous soit donnée ; cf. supra, b) col. 772. Mériter s’entend de deux manières : selon ce qu’autrui nous doit, en justice, de condigno, secundum debitum juslitiæ, ou selon ce qu’autrui nous donne, librement, de congruo, non ex debito justilix, sed ex sua liberalitate. Comme la vie éternelle est librement donnée à la grâce, la première grâce est librement donnée à la bonne volonté, selon la maxime : facienti quod in se est, Deus non denegat yratiam. Comme la vie éternelle, la première grâce est une récompense, prsemium, mais les récompenses ici ne sont point de justice, elles sont de libéralité, d’amour. De potentia ordinata, Dieu ne refuse point sa grâce à l’infidèle qui suit l’ordre de la raison, arbitrium suum conformât rationi, et désire la lumière de la vie, Mo corde petit ac queerit illuminari ad cognoscendum veritatem, jusliliam et bonum ; quant au fidèle qui a perdu la grâce par le péché, il faut qu’il déteste ce péché selon la règle de la foi, secundum régulant f’idei detestatur peccatum, et qu’il veuille obéir à Dieu pour Dieu même, volendo Deo tanquam summo bono obedire propter Deum. La grâce ne manque jamais à cet appel du libre arbitre, selon l’ordre de miséricorde que Dieu a établi et qui le fait paraître, selon une formule saisissante, plus prompt à donner par miséricorde et bonté qu’à punir par justice : pronior est ad largendium de sua misericordia et bonitate quam ad puniendum de sua justifia. Biel, Collecl., II, dist. XXVII, q. i, a. 2, concl. 4, K ; a. 3, dub. 4, O ; éd. Feckes, p. 31-35.

Nous avons dit que le mérite était la rencontre de deux libertés : sans que rien la nécessite jamais ni l’oblige, la miséricorde divine répond au libre arbitre de l’homme, en ne refusant pas plus la grâce à la bonne volonté que la vie éternelle à la charité.

4. Le Dieu de toute-puissance et de miséricorde.

Nous étions partis du Credo in Deum Patrem omnipotentem ; cf. supra, 1, col. 764. Il nous apparaît maintenant que Pater n’est pas ici moins important qu’omnipotens et qu’on pourrait le commenter, dans l’esprit d’Occam, par l’expression liturgique : omnipotens’et misericors Dominus. Nous sommes conduits à la miséricorde par la toute-puissance ; une toute-puissance conçue selon les principes essentiels du nominalisme, à partir de la théorie des distinctions.

Là où le monde créé présente une distinction réelle, Dieu aurait pu créer à part ce qu’il a créé ensemble : en découvrant le possible à partir du fait, nous reconnaissons la contingence du réel et la liberté divine ; comme, d’autre part, il ne peut exister en Dieu de distinction réelle, mais seulement une perfection radicalement simple, c’en est fait du monde des idées, de la priorité de l’entendement sur la volonté, de toute psychologie de Dieu et de toute possibilité de lui demander raison de ses actes. Ce Dieu, que sa simplicité dérobe à l’analyse, s’éloigne de ses créatures comme puissance et liberté totales, mais s’en rapproche, aussitôt et par là même, comme libéralité et miséricorde : tel nous apparaît le Dieu du nominalisme, dont rien ne nécessite ni ne règle l’activité, hormis le principe de non-contradiction.

La Trinité.

Le nominalisme conçoit un Dieu si radicalement simple qu’on ne voit pas comment il peut subsister en trois personnes : après avoir éloigné de Dieu l’ombre de toute distinction, comment pouvons-nous accorder au Père, au Fils, au Saint-Esprit, une réalité propre ?

1. L’unité de l’essence et la pluralité des personnes.

Voici notre question : peut-on tenir la pluralité des personnes malgré l’unité de l’essence, Ulrum cum unilate numerali divinx essentiæ stet pluralitas personarum realiter distinctarum ? Sent., dist. II, q. xi, A. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu : une même essence. Le