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OLIER. DOCTRINE SPIRITUELLE

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succès du mouvement déterminé par les enseignements du P. de Bérulle, du P. de Condren, de M. Olier, tient surtout au caractère même de cette doctrine spirituelle. Cf. H. Bremond, Hist. lilt. du sentiment religieux, t. iii, p. 46 sq.

Pour le mieux comprendre il nous faut remonter à la source de toute spiritualité, l’Évangile. Il apparaît à première vue que la doctrine spirituelle dans saint Jean et dans saint Paul présente un autre aspect que dans les synoptiques. Dans ces derniers elle paraît plus simple, plus élémentaire, comme un enseignement préparatoire par rapport à un enseignement supérieur. C’est « l’enseignement élémentaire sur le Christ », Hebr., vi, 1, qui le considère plus par le dehors et dans son action extérieure que dans sa nature et son action intime. Les synoptiques se tiennent pour ainsi dire au rez-de-chaussée et ne montent pas dans la chambre haute des mystères, des choses célestes. Ce sont les terrena par rapport aux cœlestia. Joa., iii, 12.

Dans les synoptiques, la vie chrétienne nous est présentée comme une imitation de la vie du Christ. Il faut marcher à sa suite, imiter ses exemples, l’humilité, l’obéissance, le sacrifice de soi, etc., qu’il a fait paraître dans les diverses actions de sa vie. Dans les épîtres de saint Paul surtout, et dans l’évangile de saint Jean, la vie chrétienne n’est pas seulement une imitation de Jésus-Christ, elle est une communion de vie avec lui. Toute la grâce est en Jésus-Christ dans sa plénitude ; c’est de lui que nous recevons tout ; et nous recevons cette grâce pour entrer dans les dispositions mêmes du Christ, y communier, pour participer à ses mystères et en reproduire en nous les états. C’est le Christ qui vit en nous. Dans un corps, c’est le même sang qui circule dans la tête et les membres, dit saint Paul. C’est la même sève, dit de son côté saint Jean, qui monte du cep dans les rameaux.

Les différentes écoles de spiritualité ont insisté de préférence sur l’un ou l’autre de ces aspects. Mais la recherche particulière d’un de ces aspects n’exclut pas l’autre. L’imitation aboutit à la communion ; la communion entraîne l’imitation ; seulement l’accent est mis soit sur l’imitation soit sur la communion. La première méthode met plus en relief l’effort de l’homme qui marche vers le Christ et tâche de reproduire le modèle. La deuxième fait ressortir davantage la part de la grâce. Les obstacles à cette grâce sont écartés par le renoncement ; et on y répond en communiant aux dispositions intérieures du Christ. Au lieu de marcher vers le Christ, nous l’attirons en nous.

La catéchèse élémentaire, conservée dans les synoptiques, ne parle guère que de suivre Jésus-Christ, au prix même de tous les sacrifices, et. d’imiter les vertus dont il nous a donné l’exemple. C’est un évangile de conquête et de première formation des fidèles. Saint Paul, après avoir prêché, comme les autres apôtres ou disciples du Christ, la première catéchèse dont on trouve des traces çà et là dans ses lettres, s’attache surtout à mettre en relief le second aspect de la vie chrétienne, plus profond, plus intime, plus mystique. Il en est de même de saint Jean.

Suivant que les Pères ou les auteurs spirituels s’attachent aux synoptiques ou à saint Paul, ils appuient sur l’un ou l’autre de ces deux aspects de la vie chrétienne. On peut dire qu’au xvie siècle les Exercices spirituels ont porté l’accent sur le premier aspect. Saint Ignace est un soldat qui conserve les images de la vie guerrière pour décrire la vie chrétienne. Le Christ est pour lui un chef, qui marche devant nous avec son étendard ; il faut le suivre, l’imiter. Las Exercices sont une œuvre de conquête, comme les synoptiques : il faut ramener à la pratique de la vie chrétienne les gens du monde, il faut les entraîner

à se convertir et à servir Dieu. Ce côté plus accessible de la vie chrétienne est mis surtout en lumière, l’autre restant à l’arrière-plan.

Cherchant plus directement à conduire à la perfection les âmes déjà données à Dieu, Bérulle, Condren, Olier ont mis l’accent sur la vie d’union, la communion aux dispositions du Verbe incarné. Ils se rattachent directement à saint Paul dont ils avaient fait une étude spéciale. Les ouvrages de M. Olier sont tout parsemés de textes de l’Apôtre. Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse atteindre à la plus haute perfection avec la première méthode, qui s’éclaire plus ou moins consciemment des lumières de l’autre aspect plus profond de la vie chrétienne, de même que les synoptiques, qui furent écrits directement pour la première formation des fidèles, grâce à la lumière des enseignements de saint Paul et de saint Jean, laissaient entrevoir des profondeurs d’abord insoupçonnées.

Le principe fondamental de la doctrine du P. de Bérulle et de l’école française de spiritualité est tiré de l’intime même du mystère de l’incarnation. Cf. Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iii, p. 510. En Jésus-Christ la nature humaine ne s’appartient pas : privée de personnalité propre, elle est à la personne divine du Verbe. « L’humanité sainte de Notre-Seigneur, écrit M. Olier, Pensées choisies, p. 40, est anéantie comme personne ; elle n’a pas d’intérêts particuliers et ne peut agir pour soi. La personne du Verbe à laquelle elle appartient voit et recherche en tout les intérêts de son Père. Ainsi en est-il du vrai chrétien. » Cf. Catéchisme chrétien, part. I, leç. xx. Il ne peut être tout à Dieu qu’à la condition de renoncer à lui-même, cesser pour ainsi dire de s’appartenir. De là les deux aspects de la vie chrétienne : le renoncement et l’union ou adhérence à Jésus-Christ. « La vie chrétienne a deux parties, la mort et la vie. La première sert de fondement à la seconde. Cela est réitéré dans les écrits de saint Paul, particulièrement dans le 6e chapitre de l’Épître aux Bomains… et en mille autres endroits il répète ces deux membres de l’état chrétien, en sorte toutefois que la mort doit toujours précéder la vie. Et cette mort n’est autre que la ruine entière de tout nous-même, afin que, tout ce qu’il y a d’opposé à Dieu en nous étant détruit, son esprit s’y établisse dans la pureté et dans la sainteté de ses voies. » Introd. à la vie chrét., c. m.

Le renoncement s’impose donc. Il s’impose à l’homme à titre de créature et à titre de pécheur. La créature tirée du néant tend au néant par sa condition. C’est sur ce néant de nature en face de l’infinie grandeur de Dieu, que le P. de Condren insiste particulièrement. Dans son Catéchisme chrétien, part. I, leç. xi, et dans son Introduction à la vie et aux vertus, c. xi, sect. 8 et 9, en parlant de l’afnour-propre, de l’esprit de propriété, M. Olier touche ce motif. Mais il insiste plutôt sur le néant de grâce ou le péché, soit le péché originel, qui après le baptême laisse en nous des tendances au péché, soit le péché actuel.

Avant sa chute, Adam se trouvait établi par les dons de Dieu dans un état d’innocence et de rectitude, dans un parfait équilibre de sa nature : les sens obéissaient à la raison et la raison à Dieu. Le péché a rompu cet équilibre. De là l’opposition entre la chair et l’esprit, plus ou moins violente selon les tempéraments. Sur cette opposition, M. Olier, à la suite de saint Paul, insiste fortement. Catéchisme chrétien, leç. xvi-xviii. Le baptême sans doute a redressé l’âme qui n’est plus en opposition avec Dieu. Mais la vie de. l’esprit qu’il communique à l’âme est combattue par la vie de la chair. C’est le duel entre l’homme nouveau et le vieil homme lequel n’est jamais entièrement détruit. La lutte demeure plus ou moins vive