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ORATOIRE. SPIRITUALITÉ, RÉRULLE


la vie, la sapience, la puissance du Père et, si je l’ose dire, un autre lui-même et comme étant un principe avec lui et par lui d’une personne divine en la Trinité sainte, » p. 28.

Il étudie ensuite sa génération éternelle du sein et dans le sein du Père. Elle « n’a ni temps, ni journée ; car elle ne commence ni ne finit jamais, mais d’elle sont issus les jours.les temps et les siècles qui se finissent et notre éternité même en la grâce et en la gloire en tire son origine… Nous devons l’adorer… comme un Orient éternel et comme un Orient qui est toujours en son midi par la plénitude de sa lumière. » p. 127. Cette naissance, qui n’a point de temps, « a un lieu et un repos bien digne d’elle et un lieu éternel, savoir le sein du Père… qui l’engendre en soi-même et non en un sein étranger, par une action toute pure, toute sainte, toute divine et tout immanente, faisant office de père et de mère tout ensemble… tellement que le sein du père est sa matrice, est sa demeure et est sa demeure éternelle, » p. 429-431. Attentif à tirer de suite des conclusions pratiques du dogme, il admire comment l’Église « mère par la grâce, non par la nature, a cet avantage par-dessus les mères temporelles qu’elle conserve toujours en son sein ses enfants sans les pousser dehors, lesquels… vivent non de leur propre sens, mais du sens de l’Église, comme les enfants enclos dans le sein de leur mère vivent de la substance de leur mère… Les hérétiques… déchirent le ventre de leur mère pour en sortir dehors », p. 433. Le Saint-Esprit n’est pas engendré, il procède du Père et du Fils : « Le Saint-Esprit est personnellement l’unité du Père et du Fils divinement unis ensemble en unité d’amour et d’esprit », p. 460.

Il considère longuement et admire « sa naissance (du Fils) au sein de la Vierge dans la vie temporelle, » p. 424. Il regarde les deux natures du Christ jointes ensemble « par un lien si cher, si étroit, si intime comme est l’unité d’une même personne… la vie divinement humaine et humainement divine de l’Homme-Dieu. » Œuvres, p. 938. La conclusion s’impose, il s’attendrit en la tirant : « Le nom, la grandeur, la vertu, la dignité, la majesté de Dieu, en tant qu’elle est communicable à la créature, réside et repose en cette humanité… Quand elle est adorée, Dieu est adoré en elle, et quand elle parle, quand elle marche, Dieu est parlant et marchant ; et ses pas doivent être baisés et ses paroles écoutées comme étant les pas et les paroles d’un Dieu… Quand cette humanité opère ou pâtit, Dieu est agissant et pâtissant en elle, et ses actions et passions sont infinies… Ainsi, Dieu incompréhensible se fait comprendre en cette humanité, Dieu ineffable se fait ouïr en la voix de son Verbe incarné. » Grandeurs, ]). 15C.

Cette humanité, il la contemple et l’adore, dans toutes les circonstances de sa vie terrestre, avec l’émotion d’un saint François d’Assise ou d’un saint Bonaventure : « Nous avons un enfant Dieu, un Dieu mortel, souffrant, tremblotant, pleurant dans une crèche ; un Dieu vivant et marchant sur la terre… un Dieu souffrant et mourant en la croix. » Œuvres, p. 940. Il veut nous rendre attentifs « aux moindres circonstances. .. chaque chose, pour petite qu’elle soit, touche de si près à la divinité même, » p. 990. Comme l’auteur des Exercices, il demande qu’on fasse la composition du lieu, laquelle chez lui fait corps avec la méditation elle-même : « Vous voyez cette porte, ô divin Enfant, par laquelle vous entrez maintenant en la compagnie de Joseph et de Marie, et vous la regardez comme la porte par où vous sortirez pour aller au Calvaire, en compagnie des larrons. » Ibid., p. 1024. Si ces vues ne sont pas nouvelles, Bérulle a le mérite de les avoir constamment, présentes et de fonder sur elles sa spiritualité.

b) Jésus-Christ en effet, est principe d’adoration. Saint Ignace se le représente volontiers comme le roi du monde surnaturel, comme le modèle achevé de notre vie morale, il nous engage au service de ce roi. Pour Bérulle aussi, le Christ est roi et modèle, mais il est surtout l’adorateur par excellence de son Père, le parfait religieux, le Dieu-Homme seul capable de rendre à Dieu le culte qu’il mérite. Il en voit la raison dans l’unité parfaite de deux natures en une seule personne : « Par la puissance du mystère de l’incarnation, l’humanité entre en cette sorte d’alliance et d’unité avec Dieu même : et elle a, non en ses affections seulement ou en ses effets, mais en l’essence, au fond et au centre de son être, une liaison, une privauté, une intimité avec Dieu qu’elle n’a point et qu’elle ne peut même avoir avec aucune autre nature et personne créée. » Grandeurs, p. 147. La mort n’a pu dissoudre ce composé divino-humain : « Le corps de Jésus était bien séparé de son âme par la puissance de la mort et de l’amour souffrant pour les péchés des hommes : mais par un amour plus puissant du Verbe éternel envers le Fils de l’homme, ce corps du Fils de Dieu n’était pas séparé d’avec Dieu… Ce corps mort et suspendu en la croix et gisant au tombeau était lors même consubsistant avec la divinité. » Ibid., p. 154. Il en résulte que, si la religion a Dieu pour objet, elle a aussi Dieu pour moyen : « C’est Dieu qu’elle adore et c’est par un Dieu incarné, et par un Dieu mourant qu’elle adore le Dieu vivant et éternel… Ce qui passe toute excellence, est de servir son Dieu par Dieu même, ce qui est tellement propre â la religion chrétienne, qu’il ne convient qu’à elle. » Œuvres, p. 1059. Avec quelle tendresse et quels sentiments de vénération Bérulle s’adresse à Jésus : « Vous êtes ce serviteur choisi, qui seul servez à Dieu comme il est digne d’être servi, c’est-à-dire d’un service infini ; et seul l’adorez d’une adoration infinie, comme il est infiniment digne d’être servi et adoré… De toute éternité, il y avait bien un Dieu infiniment adorable : mais il n’y avait pas encore un Adorateur infini… Vous êtes cet homme aimant, adorant et servant la majesté suprême comme elle est digne d’être aimée servie et honorée… O grandeur de Jésus, même en son état d’abaissement et de servitude, d’être seul digne de rendre un parfait hommage à la divinité ! O grandeur du mystère de l’incarnation, d’établir un état et une dignité infinie dedans l’être créé. » Grandeurs, p. 79. Comme membre du corps mystique du Christ, le chrétien en état de grâce peut faire siennes les adorations du Verbe incarné ; un des actes principaux de la piété bérullienne consiste à offrir à Dieu le Père les hommages de son Fils, les mérites de son sacrifice. (Sur l’idée même que se fait Bérulle du sacrifice de la messe, voir article Messe, t. jx, col. 1196).

c) Mais à condition de le prendre pour modèle d’adoration, pour modèle de culte : c’est-à-dire que le chrétien, pour rendre pli’s efficaces ses propres adorations, doit être un adorateur semblable à Jésus, qui le fut, si l’on peut dire, par sa constitution même, par ses actes, par ce que Bérulle appelle ses étals.

a. On n’avait certes pas attendu le fondateur de l’Oratoire pour proposer les exemples du Christ à l’imitation des fidèles, mais on peut dire qu’il pénètre plus profondément cette doctrine, laquelle lui paraît une conséquence directe de la constitution même du Verbe incarné, formée de deux natures en une seule personne. De ce que l’humanité du Christ n’a pas de personnalité, il résulte que « le Verbe éternel, comme personne substituée au droit de la nature humaine… prend droit et autorité sur elle et sur ses actions et généralement sur tout ce qui appartient à cette humanité… Le Verbe éternel, comme suppôt et suppôt divin de cette nature humaine, est le propriétaire de toutes ses actions et