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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/566

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ORATOIRE. SPIRITUALITÉ, BÉRULLE


souffrances, les soutient, les relève et les déifie en sa propre personne. Le Verbe a droit et autorité légitime d’user et de disposer de l’état, de la vie, des actions et des souffrances de son humanité. » L’humanité est comme l’esclave qui a perdu sa liberté, elle « cède le droit naturel qu’elle a de subsister en soi-même, pour ne subsister qu’en sa personne divine et pour être en sa puissance… non seulement morale, volontaire et passagère comme est celle d’un esclave… mais aussi personnelle, perpétuelle et comme naturelle. » Grandeurs, p. 63-64. Elle accepte donc « tous les vouloirs de Dieu sur elle et en particulier le dénuement de sa subsistence humaine… par cette privation, elle perd le droit et propriété d’agir et subsister en elle-même… ses actions ne peuvent pas, en terme de droit, lui être adjugées en propre, n’étant plus la propriétaire de son état et de ses actions : tout ce-droit est légitimement transféré au Verbe éternel, » p. 72.

Telle est la thèse sur laquelle M. Olier s’appuiera dans les magnifiques considérations du Catéchisme de la vie intérieure. Le P. de Bérulle en profite pour faire à Dieu le vœu de servitude à Jésus : « En l’honneur de ce même dénuement… je renonce à toute la puissance, autorité et liberté que j’ai de disposer de moi… pour l’accomplissement de tous ses vouloirs et de tous ses pouvoirs sur moi. Je veux qu’il n’y ait plus de moi en moi… Je fais une oblation et donation entière, absolue et irrévocable de tout ce que je suis par vous en l’être et en l’ordre de nature et de grâce… Le Fils unique de Dieu… prend la forme de serviteur et la prend en deux manières : l’une en prenant notre nature humaine par le mystère de l’incarnation et abaissant en lui l’être infini… de sa divinité… l’autre en abaissant cette même humanité par l’état et le mystère d’une vie laborieuse et. voyagère sur la terre… Mystères grands et qui exigent de moi par un droit très puissant et très juste que j’emploie le néant que je suis à vous servir. » Grandeurs, p. 73-75. Un très grand nombre de formules et en particulier les Actes oratoriens s’inspireront de ces considérations.

b. Le chrétien est donc un membre du corps du Christ qui, pour prendre place dans l’ensemble, doit reproduire en lui-même les différents mystères qui se sont accomplis dans la personne même de Jésus. Or, il y a les mystères de sa naissance, de sa vie cachée et publique, de sa passion et de sa mort, de sa résurrection et de sa vie glorieuse, tous ses actes qu’il faut non seulement imiter, mais honora en les reproduisant en soi : « Puisque celui qui a fait les jours et qui s’appelle le roi des siècles a voulu se rendre sujet aux jours, tous ses jours et ses moments sont adorables en la dignité de sa personne. » Œuvres, p. 1049. Car, de chacun de ses mystères, découle une grâce : « De l’Homme-Dieu doit émaner continuellement un monde d’effets excellents de vie, de grâce, de gloire, de splendeur dignes de la divinité. » Grandeurs, p. 53.

Toujours avoir le regard sur Jésus, contempler Jésus « tout à nous, tout à nos usages… (mais) pour exercice de religion. » Œuvres, p. 1058. Saint Ignace me fait « considérer comment le Fils de Dieu s’est fait homme pour moi ; » pour le P. de Bérulle : « Le Fils de Dieu se donne à l’homme par voie de religion, » ibid., p. 933, pour être imité comme tel, pour qu’il y ait un adorateur plus fervent de plus ; les mêmes textes qui montrent le Christ comme principe d’adoration peuvent aussi bien servir à le représenter comme modèle et modèle surtout d’adoration.

On en trouverait se rapportant à tous les événements de sa vie ; quelques-uns suffiront : « Comme sa croix est proprement un mystère de souffrance et d’expiation, aussi sa naissance est proprement un mystère d’offrande et d’adoration. » Grandeurs, p. 486. t Comme l’incarnation est le fondement de notre

salut… combien doit être grand l’anéantissement de soi-même, par lequel celui qui est résolu de travailler au salut de son âme doit commencer. » Œuvres, p. 1294. Parlant du mois de mars, mois de l’incarnation : « Nous n’avons pas pouvoir de réformer le calendrier et de rendre ce mois le premier en nos éphémérides, mais nous avons pouvoir de régler notre piété, et de le rendre le plus remarquable en nos dévotions. » Œuvres, p. 947. Le P. Lejeune nous est témoin que « pour honorer ses mystères (du Christ) et tous les états de sa vie, en détail et en particulier, il en faisait comme l’anatomie. Voici ce qu’il nous enseignait, et qu’il a pratiqué toute sa vie : Honorer les premiers actes de Jésus, la première élévation de son esprit à Dieu son Père, la première effusion de son cœur envers les hommes, ses premiers regards sur la Vierge, ses premiers cris enfantins, la première goutte de son sang dans la circoncision, sa première prédication, le premier moment de sa vie glorieuse. » Sermon xxxix, De mon très honoré Père, l’éminentissime cardinal de Bérulle.

Il faut croire que ces formes de dévotion étaient au moins très oubliées, puisque les disciples du P. de Bérulle lui attribuent la gloire de les avoir enseignées : « Nous étions, écrit Amelote, sous un Pasteur de qui nous ne discernions pas assez la voix… Si nous jetions les yeux sur Jésus-Christ, ce n’était qu’au mystère de sa croix. Toutes nos dévotions étaient bornées au Jardin des olives, chez les juges et sur le Calvaire. Il ne se faisait plus de voyages en Bethléem, ni en Nazareth. .. Ou, si nous connaissions sa vie par les catéchismes, nous ne la formions point en nous par la conformité de nos mœurs aux siennes… (Bérulle) nous a avertis qu’il n’y avait rien en sa personne qui ne méritât nos adorations et notre amour. » Vie du P. Charles de Condren, t. ii, p. 87-88. Jésus, dit le P. de Bérulle, « est la pensée du Père éternel, pensons à lui ! il est la Sapience éternelle, rendons-nous ses disciples ; il est l’amour du Père et donné par amour, ayons amour pour lui. » Œuvres de piété, xci. Il disait aux supérieurs : « Nous devons plus aimer la patience et débonnaireté parce qu’elle nous conforme à Jésus-Christ doux et patient, que parce qu’elle nous rend doux et patients. » Œuvres, p. 1457.

c. Saint Ignace nous porte surtout à imiter Jésus dans ses actions, il nous le montre obéissant de telle ou telle façon à la sainte Vierge, à saint Joseph. Avec le P. de Bérulle, nous devons imiter ce qu’il appelle ses étals : « Nous devons être et demeurer perpétuellement en Lui, ainsi qu’il est et demeure en son Père : et être toujours vivant et opérant par Lui et pour Lui… Il veut conserver toujours ce nouvel être pour honorer Dieu son Père non seulement par ses œuvres et par ses souffrances… mais encore par un nouvel état permanent dans le ciel et dans l’éternité. Ainsi, à son exemple, nous devons… faire effort à nous-mêmes, à nos habitudes et à nos passions. Et y ayant deux manières de le servir, l’une par actions seulement, et l’autre par étal, nous devons choisir cette voie constante, solide, permanente. » Grandeurs, p. 208. Qu’est-ce à dire ? Les mystères de la vie de Jésus se sont accomplis une fois, le moment de sa naissance est passager, mais l’état de Jésus naissant, vivant en ce monde pour la gloire de son Père, ses dispositions intérieures sont durables : « Cette hostie divine, au même instant qu’elle est formée, accomplie et dédiée accomplit son office : le premier instant de sa vie et de sa subsistence divine étant le premier instant de son élévation et oblation au Père éternel. » Ibid., p. 488. Il est « nôtre par état éternel » et dans tous ses états. Sans doute « les mystères sont passés quant à leur exécution, mais ils sont présents quant à leur vertu… l’état intérieur du mystère extérieur,