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    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. ANTHROPOLOGIE

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ment, elle semble même contredire ce que nous avons appris touchant la chute des esprits et leur refroidissement, car l'âme nous est alors apparue comme un esprit déchu et alourdi.

L'âme est immatérielle, bien qu’elle ne puisse pas subsister indépendamment du corps. « S’il y a des gens qui pensent que l’intelligence ou que l'âme est un corps, je voudrais bien qu’ils me disent comment elle pourrait recevoir en soi les raisons et les preuves de tant de choses grandes, difficiles et subtiles. D’où lui viendrait la force de la mémoire ? d’où l’intuition des choses invisibles ? Un corps est-il en état de saisir ce qui est incorporel ? quel moyen de lui prêter la faculté de concevoir et de raisonner dans les sciences et dans les arts ? où lui trouver un sens pour atteindre les dogmes divins qui sont évidemment incorporels ? Suppose-t-on que, de même que la conformation de l'œil ou de l’oreille est appropriée à la vue ou à l’audition et qu’en général les membres formés par Dieu sont propres, en vertu de leur conformation particulière, aux fonctions qu’ils sont naturellement destinés à remplir, de même l'âme ou l’intelligence a reçu une conformation matérielle telle qu’elle puisse sentir et concevoir chaque chose en même temps qu’elle est animée du mouvement vital ? Mais je demande qu’on me décrive et me dise la couleur de la pensée prise en elle-même et dans son activité intime… Chaque sens corporel a son objet propre. A la vue répondent les couleurs, les formes, les grandeurs, à l’ouïe les paroles et les sons, à l’odorat les senteurs bonnes ou mauvaises ; au goût les saveurs, au toucher le chaud et le froid, la dureté et la mollesse, les aspérités et le poli. Or, il est clair pour tout le monde que le sens intellectuel est de beaucoup supérieur à tous ces sens-là. Et tandis que les sens inférieurs ont chacun pour objet une substance particulière, cette énergie qui est beaucoup plus excellente qu’eux, je veux dire le sens intellectuel, n’aurait point aussi son objet substantiel ? Et la nature de l’intelligence se réduirait à n'être qu’un accident ou une dépendance du corps ? N’est-ce pas absurde ? ceux qui avancent de pareilles propositions font injure à la meilleure partie de leur être ; et cette injure s'étend jusqu'à Dieu, qu’ils se figurent pouvoir être conçu par une substance corporelle. » De princ, I, i, 7 ; cf. I, vu, 1 ; II, ii, 1-2 ; x, 1-2 ; Exhort. ad martyr., 47 ; Contra Cels., VII, 32.

C’est à peine si Origène fait allusion à la théorie de la connaissance : il rejette le sensualisme stoïcien ; et il ajoute : « Quoique, dans cette vie, les hommes doivent commencer par les sens et par les objets sensibles, pour s'élever peu à peu à la notion des choses intelligibles, il ne faut pas s’arrêter à ce qui tombe sous les sens, ni dire que, sans la sensation, il est impossible de connaître les intelligibles. » Contra Cels., VII, 37. Il dit encore que l’esprit peut connaître Dieu, parce qu’il y a une parenté entre Dieu et lui, De princ., i, i, 7, Toutefois il est nécessaire que l’esprit se purifie s’il veut atteindre la divinité. Contra Cels., VI, 69 ;, VII, 33.

Sur cette connaissance de Dieu, qui est réservée aux cœurs purs, Origène revient à plusieurs reprises : « Il arrive, dit-il, que la lumière corporelle montre à ceux qui ont les yeux sains et sa propre présence et celle des objets qui tombent sous les sens. De même Dieu, pénétrant par une certaine vertu dans l’esprit, voûç, de chacun, pourvu que la pensée ne soit pas voilée et n'éprouve pas quelque empêchement de la part des passions, se révèle lui-même et révèle les autres objets intelligibles à la raison éclairée de sa lumière. Il ne faut pas s'étonner si quelques-uns, se montrant très perspicaces dans les arts et dans les sciences ou dans certaines questions dialectiques et morales, ignorent Dieu. Leur entendement est semblable à l'œil qui voit tout plutôt que le soleil, mais ne s'élève jamais à la contemplation de ses rayons. » In Psalm. iv, 7. On pourrait sans peine multiplier les textes. Nous trouvons ici l’esquisse d’une théorie de la connaissance mystique qui se rattache à celle que Clément d’Alexandrie avait déjà développée.

De tous les problèmes psychologiques, le seul qui intéresse réellement Origène, c’est celui de la liberté. Il n’y a pas à s’en étonner : la liberté est une pièce maîtresse dans son système. C’est parce que les esprits sont doués du libre arbitre, qu’ils peuvent faire le bien et le mal et ainsi modifier l'état dans lequel ils ont été primitivement créés. La chute des esprits, les révolutions du monde, les retours des âmes à une condition supérieure, sont le résultat d’actions volontaires et libres.

Ce n’est pas à dire qu’Origène fasse ici preuve de beaucoup d’originalité. Il emprunte l’essentiel de ses idées, et souvent même jusqu'à leur expression au stoïcisme. Mais il les développe inlassablement : « Parmi les êtres susceptibles de mouvement, les uns ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement, les autres sont mus par une cause extérieure : tels sont le bois mort, les pierres, et, en général, la matière inerte, dont le principe d’unité est dans l'ëÇiç. Il est inutile de dire ici que la dissolution ou la corruption des corps est un mouvement, parce que cela ne touche pas à notre sujet. Ont en eux-mêmes la cause de leur mouvement les animaux et les plantes, c’est-à-dire les êtres dont le principe d’unité est dans une çùaiç ou dans une âme… Et les uns se meuvent d’eux-mêmes, èÇ èauTÛv, les autres par eux-mêmes, àcp'éauxGiv. Se meuvent d’eux-mêmes les êtres qui n’ont point d'âme, xà ol^w/o. ; sont mus par eux-mêmes les êtres animés, xà ep^o^a. Les êtres animés se mettent par eux-mêmes en mouvement, lorsqu’une image provoque en eux l’appétit et, chez quelques animaux, il y a des imaginations provoquant l’appétit dans un sens défini et limité : par exemple dans l’araignée se produit l’imagination de tisser, qui est suivie de l’appétit de tisser, et il n’y a, croit-on, dans l’animal, que la faculté imaginative le portant déterminément à telle œuvre, de sorte qu’on ne doit supposer rien de plus dans l’abeille pour la savante construction de ses rayons. « Outre l’imagination, l’animal raisonnable a en lui la raison, qui juge les données de l’imagination, rejetant les unes, acceptant les autres pour se conduire d’après elles. En conséquence, puisqu’il y a naturellement dans la raison certains principes pour distinguer ce qui est honnête de ce qui est honteux, nous pouvons, en suivant ces principes, choisir l’un et nous écarter de l’autre ex. : louables, si nous nous adonnons à la pratique du premier, blâmables, si nous faisons le contraire… Ce qui survient du dehors et provoque en nous telle ou telle imagination, incontestablement, n’est point du nombre des choses qui dépendent de nous. Mais décider d’user de cette imagination d’une manière ou d’une autre est l'œuvre de notre seule raison qui, à la suite des incitations du dehors, nous détermine à suivre les conseils de l’honnêteté ou nous porte à une conduite contraire… « Si quelqu’un soutient que ce qui nous vient du dehors est de telle nature que personne ne puisse y résister, qu’il fasse attention à ce qu’il éprouve et à ses mouvements intérieurs, et qu’il voie si le consentement, l’acquiescement, la détermination de la raison à ceci ou à cela ne viennent pas de certaines persuasions. Si l’on a résolu de vivre dans la continence, l’aspect d’une femme dont la beauté nous invite à agir contrairement à notre propos n’est pas une raison suffisante pour effacer cette décision. Si, se laissant aller