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Si, du vivant même d’Origène, ses ennemis trouvaient cet enseignement dans ses livres, ils n’avaient pas tort de l’y voir, car on l’y découvre encore aujourd’hui. Sans doute, Origène écrit parfois, selon le langage courant, que les démons sont ancrés dans le mal. De princ, I, viii, 4 ; que la malice leur est devenue naturelle, In Joan., xx, 19. Il pose encore, sans vouloir la résoudre, la question de la conversion des démons : « Quelques-uns de ces esprits, rangés sous le pouvoir du diable et complices de sa méchanceté, pourront-ils dans les siècles futurs se convertir en vertu de leur libre arbitre ; ou bien la malice invétérée par la force de l’habitude leur est-elle devenue comme naturelle'.' C’est à toi, lecteur, de juger si cette catégorie de créatures sera totalement exilée de l’unité et de l’harmonie finales, soit dans les siècles mesurés par le temps, soit dans les siècles coexistant à l'éternité. » De princ, I, vi, 3 ; cf. S.Jérôme, Contra Joann. Hierosol., 16, P. L., t. xxiii, col. 368 ; Rufin, Apol., i, 10, P. L., t. xxi. col. 517 sq. Mais on voit bien vers quelle réponse il tend, et que ses réticences n’ont d’autre cause que le souci de l’orthodoxie ou la crainte de scandaliser les simples fidèles. Si le démon est inconvertissable, l’empire de Dieu ne sera pas absolu et tout ne sera pas rétabli dans l’ordre primitif.

Car ce rétablissement, cette anox.xjct.rsTa.aic, doit être le but final et le terme dernier de l'évolution universelle. Lorsque tous les ennemis seront soumis au Ghrist, que le dernier ennemi, la mort, sera anéanti et que le Christ, à qui tout aura été soumis, remettra le royaume à son Père, ce sera la fin ; et cette fin nous permet de nous représenter le commencement. En effet, la fin est toujours semblable au commencement, et comme la fin de toutes choses est une, le commencement doit avoir été un. Tous les êtres, malgré leur diversité, ont une même fin : ainsi d’un commencement identique sont sorties les variétés et les différences actuelles qui, par la bonté de Dieu, dans la soumission au Christ et. l’unité du Saint-Esprit, seront ramenées à un même dénouement semblable à l’origine. » De princ., i, vi, 2 ; cf. Contra Cels., VIII, 72 ; In Joan., xiii, 37.

En quoi consistera le bonheur final ? Origène écarte, cela va sans dire, toutes les grossières conceptions du millénarisme. Il n’a pas assez de sarcasmes pour les simples qui rêvent de jouissances charnelles jusque dans l’autre monde. De princ., II, xi, 2 ; In Matth., xvii, 35 ; In Canl., prolog. ; Contra Cels., V, 14 ; VIII, 49. Les esprits, de plus en plus dégagés de la matière, traverseront, l’un après l’autre, tous les cieux. Origène se plaît à imaginer et à décrire ces stations successives des âmes. Arrivés aux cieux, explique-t-il, les saints connaîtront la nature des astres, s’ils sont des êtres animés, pourquoi telle étoile occupe telle position et est séparée de telle autre par une si grande distance… Puis, ils arriveront aux choses qu’on ne voit pas, à celles mêmes qui sont ineffables. Et, quand nous aurons fait de tels progrès que nous ne serons plus des chairs et des corps, peut être même des âmes, mais des intelligences pures, qui, arrivant à la perfection et n'étant plus offusqués par les nuages des passions, contempleront face à face les substances raisonnables et intellectuelles, l’esprit jouira alors de la perfection. De princ, II, xi, 7.

Il est vrai que le libre arbitre subsistera alors encore dans la nature raisonnable. « Mais nous affirmons que telle est l’efficacité de la croix et de la mort du Christ, qu’elle suffit à la guérison et au salut non seulement du siècle présent et du siècle passé, non seulement pour le genre humain, mais encore pour les vertus et les ordres célestes. Selon la pensée de Paul, le Christ a pacifié par le sang de la croix, non seulement ce qui est sur la terre, mais encore ce qui est dans les cieux.

Or, qui est-ce qui, dans les siècles futurs, peut empêcher la liberté de retomber dans le péché? c’est ce que nous enseigne l’Apôtre par une brève parole : » La charité ne déchoit pas. » C’est pour cela que la charité est dite plus grande que la foi et l’espérance ; seule elle sera ce qui rendra le péché désormais impossible. Car, si un être raisonnable s’est élevé à ce degré de perfection qu’il aime ce Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et le prochain comme luimême, où y aura-t-il encore place pour le péché'?… La charité qui est plus grande que tout empêchera donc toute créature de tomber. Alors Dieu sera tout en tous. » In Rom., v, 10, P. G., t. xiv, col. 1053.

Le salut définitif ne sera achevé que lorsque la création entière sera délivrée de l’esclavage. Jusque-là la créature raisonnable est soumise à la vanité contre son gré pour obéir à celui qui l’y soumet. Elle gémit et elle souffre sans cesse. In Rom., vii, 4. Lorsque tous les péchés auront disparu du monde, alors seulement, les justes brilleront dans tout leur éclat. In Matth., x, 3 ; xviii, 19. Ils verront Dieu, sans aucun intermédiaire, semble-t-il ; car celui qui l’a vu dan^ l’image du Dieu invisible pourra voir directement le Père en luimême, qui est l’exemplaire de l’image. In Joan., xx, 7 ; xxxii, 18.

Mais il ne suit pas de là, évidemment, que lors de la restauration finale, quand Dieu sera tout en tous, les êtres créés perdront leur individualité et se confondront dans la substance divine. Notons d’abord qu’ils garderont leurs corps. Si Dieu seul est véritablement incorporel, les esprits qui possèdent, dès la création, des corps éthérés ne les perdront jamais. Notons surtout qu’ils conserveront leur individualité. Sans doute saint Jérôme écrit dans la lettre à Avitus, sous prétexte de résumer la pensée d’Origène : El ne pariun putaremus impietalem esse eornm quee præmiserat, in ejusdem voluminis fine conjungit omnes ralionabiles naturas, id est Patrem et Filium et Spiritum Sanctum, angelos, potestates, dominaliones ceterasque virtutes, ipsum quoque hominem secundum animm dignilalem nnius esse substantif. Episl.. cxxiv, 14, P. L., t. xxii, col. 1071 ; cf. De princ. IV, ix. 30. Et un peu plus haut, il résume ainsi la fin du second livre du De principiis : Et post dispulalionem longissimam, qua omnem naturam corpoream in spiritualia corpora et tenuia dicil esse mulandam, cunclamque substantiam in unum corpus mundissimum et omni splendore purius convertendam et talem, qualem mine humana mens non potest cogitare, ad extremum intulit : El erit Deus omnia in omnibus, ut uniuersa natura corporea redigatur in eam substantiam, quæ omnibus melior est, in divinam videlicet qua mulla est melior. Ibid., 10, col. 1069. Si saint Jérôme prétend exprimer ici la pensée d’Origène, il est permis de croire qu’il se trompe. Origène a pu sans doute parler d’une parenté entre l'âme et Dieu ; cf. Exhort., 47 ; et rien n’est plus traditionnel que cette idée d’une communauté de race, aoYYsvsi.a, qui fait des esprits les images de Dieu. Mais il faut s’entendre sur le sens de cette expression. Elle ne va pas à faire de Dieu l’unique substance du monde ; et Origène ne prétend en aucune manière que, lors de la consommation finale, Dieu seul rassemblera en son unique existence toutes les existences créées. Tous les esprits subsisteront, dans des corps éthérés, légers, splendides ; mais, par le seul fait qu’ils ne seront pas entièrement incorporels, ils se distingueront de Dieu. Comme l'écrit J. Denis, De la philosophie d’Origène, p. 386, % Les corps ne s'évanouissent pas plus en Dieu que les âmes, en perdant les qualités grossières qu’ils ont revêtues depuis le péché pour reprendre peu à peu leurs qualités originelles ; corps spirituels, selon le mot de saint Paul, ils distingueront les esprits les uns des autres, sans mettre obstacle à leur union, et ils les distingueront de Dieu,