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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/208

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    1. ORIGÈNE##


ORIGÈNE. L’APOCATASTASE

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futuros et dœmones, si egerinuis neglegentius, et rursum dasmones, si voluerint capere viriules, pervenire ad angelicam dignilalem. De princ, I, vi, 3 ; cf. S. Jérôme, Contra Joan. llierosol., 19, P. L., t. xxiii, col. 370.

On voit dès lors comment Origène concevait l’histoire du monde. Créés libres par Dieu, tous les esprits conserveraient éternellement leur liberté ; ils resteraient sans cesse capables de choisir entre le bien et le mal : de telle sorte que jamais ne serait arrêtée leur évolution. Des anges aux démons, des démons aux anges, en passant par les hommes, se poursuivrait un mouvement ininterrompu de montées et de descentes : les anges ne finiraient pas de pouvoir se transformer en démons, ni les démons en anges ; et les hommes eux-mêmes, après leur vie mortelle, deviendraient anges ou démons, à moins qu’ils n’eussent simplement mérité de redevenir des hommes.

Au lieu de constituer un état définitif, le siècle futur dont parlent les Livres saints n’est dès lors qu’une phase de ce développement ininterrompu. Les mondes succèdent aux mondes, comme les épreuves aux épreuves. Citons encore le texte d 'Origène, dans la traduction de saint Jérôme :

Nec dubium est quin, post quædam intervalla temporum, rursum maleria subsistât et corpora liant et mundi diversitas construatur propter varias voluntates rationabilium creaturarum, quæ post perfectam beatitudinem usque ad finem omnium rerum paulatim ad inferiora delapsæ tantam malitiam receperunt, ut in contrarium verterentur, dum nolunt servare principium et incorruptam beatitudinem possidere. Nec hoc ignorandum, quod multæ rationabiles usque ad secundum et tertium et quartum mundum servent principium nec mutationi in se locum tribuant, aliæ vero tam parum de pristino statu amissuræ sint, vit pæne nihil perdidisse videantur et nonnullæ grandi ruina in ultimam præcipitandæ sint barathrum. Novitque dispensator omnium Deus in conditione inundorum slngulis abuti juxta meritum et opportunitates et causas, quibus mundi gnbernacula sustentantur et initiantur, ut qui omnes vicerit nequitia et penitus se terrse coæquaverit in alio mundo, qui postea fabricandus est, fiât diabolus principium plasmationis Domini, ut inludatur ei ab angelis qui exordii amisere virtutem. De prine., III, vi, 3 ; Episl. ad. Avit., 10, P. L., t. xxii, col. 1069.

On entrevoit ici tout un poème cosmologique. Les mondes se succédant indéfiniment les uns aux autres, le Christ recommençant à souffrir sans achever jamais le sacrifice de la Rédemption ; cf. S. Jérôme, Apol., i, 20, P. L., t. xxiii, col. 413 ; les esprits créés passant par toutes les alternatives du bien et du mal. Entre cette conception et la grande année stoïcienne, il y a d’ailleurs des différences marquées : pour les stoïciens, le même monde se renouvellera à l’infini, on reverra Socrate, accusé' par Mélitos, boire à nouveau la ciguë ; on retrouvera Phalaris et son taureau ; cf. Contra Cels., V, 20. Pour Origène, l’exercice du libre arbitre empêche une telle répétition : sans doute le nombre des créatures n’est pas illimité ; mais chacune d’elles peut toujours changer, si bien qu’une infinité de combinaisons demeurent possibles et deviendront réelles au cours des siècles à venir.

Peut-on s’arrêter ici, et croire que le dernier mot de l’eschatologie d’Origène soit dans cette théorie des mondes qui se succèdent sans fin ? Non assurément. Il faut que l'évolution finisse par trouver un terme définitif. Si éloigné qu’il puisse être, ce terme est cependant certain. Dieu veut le bien. Il a créé le monde bon. Si le péché libre des créatures a introduit le mal dans l’univers, la rédemption opérée par JésusChrist a eu pour effet de restaurer toutes choses. Sans doute, cette rédemption ne fait sentir que peu à peu son efficacité. Nul ne sera sauvé malgré lui. Mais finalement le salut de la création sera accompli. Dieu ne permet le mal qu’en vue du bien ; il ne châtie que pour instruire et pour guérir. Même les peines des damnés dans l’enfer, même les châtiments des démons sont destinés à trouver un terme. Lorsque la guérison de toutes les créatures sera achevée, le Christ, s'étant soumis toutes les créatures raisonnables, se soumettra lui-même avec elles et en elles à son Père.

Le texte fameux de la première épître aux Corinthiens, xv, 27, fournit ici un argument dont Origène ne craint pas de se servir à tout instant : « Si cette sujétion, écrit-il, par laquelle le Fils est soumis à son Père est bonne et salutaire, il suit nécessairement que la sujétion par laquelle les ennemis du Fils lui sont dits soumis est également salutaire et utile, de sorte que, de même que la sujétion du Fils au Père est le rétablissement final de toute la création, de même la soumission de ses ennemis au Fils doit être entendue comme le salut des sujets et comme la restitution de ce qui était perdu. Mais cette soumission s’accomplira par des mesures ou des disciplines déterminées, en des temps déterminés, chacun étant sauvé à son tour et à son rang, non par force et par nécessité, mais par les persuasions du Verbe, par la raison, par l’enseignement, par la provocation au mieux, par d’excellentes institutions, et, au besoin, par de justes et convenables menaces, dont l’effet frappe équitablement les rebelles ou ceux qui méprisent le soin de leur intérêt, de leur santé et de leur salut. » De princ, III, v, 7, 8 ; cf. III, vi, 6 ; I, vi, 4.

Il faut dès lors admettre que les mondes successifs iront en s’améliorant progressivement. Après la grande chute qui a suivi de près la création, s’opère un redressement, lent, pénible, douloureux. Les esprits ne suivent pas tous la même route, ne se corrigent pas avec la même rapidité ; quelques-uns même, après s'être redressés, tombent à nouveau. Mais, dans l’ensemble, le progrès s’accomplit. Petit à petit le domaine du bien s'élargit, et le jour vient où sera vaincue la dernière ennemie, la mort. Cela, Origène ne le dit pas avec toute la précision que nous voudrions, mais, comme le fait justement remarquer J. Denis, De la philosophie d’Origène, p. 359, « c’est avoir l’opinion la plus fausse et la plus incompréhensible de ses spéculations théologiques que de lui attribuer, sous prétexte que la volonté est toujours libre de se porter vers le bien ou vers le mal, la pensée que ces épreuves successives qu’il juge nécessaires n’ont pas un terme, vers lequel l'âme s’avance constr.mment, jusqu'à ce qu’enfin elle l’atteigne. » On a parlé de contradiction dans la pensée d’Origène. Le mot semble trop fort, et celui d’imprécision suffit d’autant plus qu’en ces questions difficiles nous ne sommes pas assurés d’avoir les expressions authentiques du maître. Il est probable que Ru fin a fortement retouché, tout au moins abrégé, plusieurs des passages du De princlpiis qui se rapportaient à la consommation des choses. Le traducteur lui-même nous avertit, dans la préface au IIIe livre, qu’il a raccourci ce qui était relatif aux créatures raisonnables ; et, selon saint Jérôme, il y avait, à la fin du premier livre une longue discussion, sermone lalissimo disputavit, sur le sort des esprits, discussion que Rufin a résumée en quelques lignes. Il faut donc faire effort pour retrouver ce que devait être la doctrine complète d’Origène. Mais il est assuré, semble-t-il, que, pour lui, toutes les créatures devaient finalement être confirmées dans le bien.

Toutes les créatures, disons-nous, même le démon. Origène aurait, paraît-il, nié cette conséquence de 6a doctrine en une lettre que cite Ru. fin dans le De adulteratione librorum Origenis, P. G., t. xvii, col. 624 : < Mes ennemis prétendent que je dis que le père de la malice et de la perdition et de tous ceux qui sont exclus du royaume de Dieu, je veux dire le diable, doit être sauvé, ce que n’oserait avancer même un homme sorti de son bon sens et manifestement fou. »