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PASCAL. LES PROVINCIALES, ANALYSE


libertin ; les jésuites, au contraire, cherchent à ajuster le dogme et la morale aux exigences de la pensée et de la vie modernes. C’est même un rapport de cause à effet que dénonce Pascal entre la conception morale des jésuites et leur conception de la grâce : « Vous remarquerez aisément, dit-il, dans le relâchement de leur morale la cause du relâchement de leur doctrine touchant la grâce. Comme leur morale est toute païenne, la nature suffit pour l’observer. » 5e Provinciale, p. 130.

b) Critique de la morale des jésuites. — a. Point de départ. — En 1640, les jésuites de la province de Flandre-Belgique avaient publié une apologie de la Compagnie, à propos du centenaire de ses statuts : Imago primi sseculi Socielatis Jesu, Antverpia ?, anno societatis seeculari MDCXL, in-folio. Par la gravure et par le texte, ce livre exaltait les jésuites, « ces hommes éminents en doctrine et en sagesse…, esprits d’aigles, troupe de phénix » qui « ont changé la face de la chrétienté ». Pascal s’empare de ce dernier mot : « Vous Pallez bien voir », dit-il, et, en six lettres, il s’efforce de prouver que les doctrines morales des jésuites sont contraires à la morale traditionnelle et ne peuvent dès lors aboutir qu’à des conséquences antichrétiennes. Le procédé y est le même que dans la 4e : le Père casuiste expose la doctrine morale de la Compagnie et Pascal en fait la critique sur le ton d’une ironie légère.

b. Sommaire, d’après l’édition de 1659. — La 5e (n. lxxiv, t. iv : introd., p. 273-296 ; texte, p. 297-319), datée du 20 mars : « Dessein des jésuites en établissant une nouvelle morale. Deux sortes de casuistes : parmi eux, beaucoup de relâchés et quelques-uns de sévères. Raison de cette différence. Explication de la doctrine de la probabilité. Foule d’auteurs modernes et inconnus mis à la place des saints Pères. »

La 6e (n. lxxvi, t. v : introd., p. 3-27 ; texte, p. 2851), datée du 10 avril : « Différents artifices des jésuites pour éluder l’autorité de l’Évangile, des conciles et des Pères. Quelques conséquences qui suivent de leur doctrine sur la probabilité. Leurs relâchements en faveur des bénéfleiers, des prêtres, des religieux et des domestiques. Histoire de Jean d’Alba. »

La 7e (n. lxxvii, ibid. : introd., p. 55-82 ; texte, p. 83-108), datée du 25 avril : « De la méthode de diriger l’intention selon les casuistes. De la permission qu’ils donnent de tuer pour la défense de l’honneur et des biens et qu’ils étendent jusqu’aux prêtres et aux religieux. Question curieuse posée par Caramuel, à savoir, s’il est permis aux jésuites de tuer les jansénistes. »

La 8e (n. lxxviii, ibid. : introd., p. 111-134 ; texte, p. 135-160), datée du 28 mai : « Maximes corrompues des casuistes touchant les juges, les ouvriers, les banqueroutiers, le contrat Mohatra, les restitutions, et diverses extravagances des casuistes. »

La 9e (n. lxxix, ibid. : introd., p. 163-190 ; texte, p. 191-214), datée du 3 juillet : « De la fausse dévotion que les jésuites ont introduite à l’égard de la sainte Vierge. Diverses facilités qu’ils ont inventées pour procurer aux chrétiens le moyen de se sauver sans peine parmi les douceurs et les commodités de la vie. Leurs maximes sur l’ambition, l’envie, la gourmandise, les équivoques, les restrictions mentales, les libertés qui sont permises aux filles, les habits des femmes, le jeu, le précepte d’entendre la messe. »

La 10° (n. lxxx, ibid.’: introd., p. 217-248 ; texte, p. 249-275), datée du 2 août : « Adoucissements que les jésuites ont apportés au sacrement de pénitence par leurs maximes touchant la confession, la satisfaction, l’absolution, les occasions prochaines du péché, la contrition et l’amour de Dieu. »

c. Étude de cette morale. — Le dessein. — Une telle façon de faire, et qui est de toute la Compagnie,

répond « à un dessein arrêté des chefs ». Ce dessein n’est ni de corrompre, ni de réformer les âmes : tel, il serait de mauvaise politique ; mais de les dominer, dans cette persuasion « qu’il est… comme nécessaire au bien de la religion que leur crédit s’étende partout ». 5e Provinciale, t. iv. p. 299.

Le moyen. — C’est de s’adapter à toutes les âmes. Telles âmes sont austères : ils se feront austères ; telles âmes, et c’est le grand nombre, ne se plient pas aux maximes évangéliques : devant elles, ils feront fléchir les maximes évangéliques. On l’a bien vu en Chine et aux Indes ; cf. Chinois (Rites), t. ii, col. 2364-2391. « Comme si, gronde Pascal, la foi, et la tradition qni la maintient, n’était pas toujours une et invariable dans tous les temps et dans tous les lieux ; comme si c’était à la règle à se fléchir pour convenir au sujet qui doit lui être conforme. » Loc. cit., p. 303.

Les casuistes, instruments de cette politique. — Ce sont les casuistes qui permettent cette conduite « complaisante et accommodante », selon le mot du P. Pet au. Et le jésuite fait d’eux une énumération bouffonne, à quoi Pascal, « tout effrayé », répond par l’amusante exclamation : « O mon Père… ces gens-là étaient-ils chrétiens ? » Ibid., p. 317.

De la 5e à la 16e Provinciale, ils défileront tous, Escobar en tête. Ce casuiste n’était pas de premier plan, mais il était le seul que Pascal ait lu personnellement (cf. Gazier, Pascal et Antoine Escobar, 76 p., in-8°, 1892) ; dans son Liber theoloyiæ moralis, in-8°, Lyon, 1644, il avait compilé les maximes de vingt-quatre casuistes de la Compagnie qu’il comparait aux vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse ; cf. Escobar, t. v, col. 520-522. Viennent ensuite les jésuites français : Bauny, dont la Somme des péchés avait été mise à l’Index, 1640 ; Annat, confesseur de Louis XIV ; Caussin, confesseur du feu roi ; Barry, provincial de Lyon ; Binet, ex-provincial de France ; Cellot, son successeur ; Bille, professeur de cas de conscience à Cæn ; Érade, Géraud, Le Moyne, puis des jésuites allemands, espagnols, italiens. Des casuistes d’autres ordres figurent aussi, mais qui ont été maîtres ou disciples de casuistes jésuites : le cistercien espagnol Caramuel, le théatin italien Diana, qui cite, dans son Resolulionum moralium partes, 297 casuistes, la plupart jésuites… Des casuistes nommés, plusieurs vivaient encore.

Les procédés. — a.) Le procédé principal : le probabilisme. — Les casuistes offrent à tous, à bon compte, toutes permissions, par exemple de ne pas jeûner quand on ne peut ou ne veut le faire pour des raisons peu sérieuses ou même immorales. Sur tout sujet, ils bannissent tout scrupule, grâce à la doctrine des opinions probables, « l’a b c de toute notre morale », dit le Père, et à quelques principes complémentaires.

L’on peut toujours suivre, en effet, expose le l’ère, une opinion probable même si la conscience proteste ; même si d’autres casuistes opposent d’autres opinions probables ou même plus probables. Disons-le : on peut même suivre l’opinion la moins probable. « Nous voici bien au large », dit Pascal. Mais les casuistes ont-ils la même liberté dans leurs réponses ? Pourquoi non ? — Nous répondons aussi, réplique le Père, ce qui nous plaît ou plutôt ce qui plaît à ceux qui nous interrogent, à ce point que, d’après Laymann, un casuiste peut donner un avis qui lui semble faux — Pascal omet le mot spéculativement — pourvu que cet avis soit probable. Un confesseur qui juge fausse une opinion probable ne peut refuser l’absolution à qui l’a suivie : « Son refus serait un péché mortel. » Et il n’y a ni à se demander si les décisions des casuistes sont conformes àcelles des Pères : les Pèresont décidépourleurtemps. les casuistes décident pour le leur ; ni à craindre qu’elles se heurtent jamais aux décisions de l’Écriture, des conciles et des papes : grâce à certains principes que