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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/584

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PATRICE (SAINT) — PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA)

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Les saints), Paris, 1911, s’appuie à peu près exclusivement sur Burv ; H. von Schubert, Gesch. der cliristl. Kirche im Frûhmittelalter, Tubingue, 1917, p. 203, reste fidèle au point de vue de Zimmer.

3° Les notices littéraires les plus récentes sont celles de G. Kriitîer dans M. Sclianz, Gesch, der rôm. Lileratur, t. ivb, 192 1°, § 1214, et de O. Bardenhevver, Altkirchl. Lileratur, t. iv, 1921, p. 629-632.

É. A.MANN.

    1. PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA)##


PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA). — I. Enseignement théologique de saint Thomas. II. Déclarations des souverains pontifes (col. 2313).

I. Enseignement théologique de saint Thomas :

— 1° L’homme doit à sa patrie la piété. — Saint Thomas enseigne que nous sommes tenus de professer pour notre patrie la piété.

La justice exige que nous rendions à chacun ce qui lui est dû ; or, le plus grand créancier de la créature raisonnable, c’est Dieu : il domine tous les autres d’une transcendance incommensurable. Bonté infinie et principe premier, il nous donne et nous conserve tout notre être ; en même temps, il possède sur nous l’autorité suprême, pour nous faire parvenir à la perfection et au bonheur. A lui donc nous sommes tenus de réserver un culte auquel ne saurait prétendre aucune créature. La vertu de religion, fait rendre au Très-Haut des honneurs uniques, l’hommage de toute notre personne à son premier Père et à son souverain Seigneur. Sum. theol., IIa-IIæ, q. lxxxi, a. 1, 2.

Mais, après Dieu et avant toute autre créature, parents et patrie sont, de par la volonté providentielle, appelés à nous communiquer nos vies et à les diriger. Donc, à un titre secondaire et grâce à une participation aux pouvoirs de notre auteur et chef suprême, mais, plus que personne et par des services que seuls ils peuvent rendre, ils sont, eux aussi, des principes de notre être et des chefs qui le gouvernent, pour l’orienter ou l’aider à s’orienter vers sa destinée. Force est de conclure : après Dieu, c’est aux parents et à la patrie qu’en bonne justice nous sommes tenus d’accorder davantage. IIa-IIæ, q. ci, a. 1, corp.

Saint Thomas appelle piété la vertu par laquelle nous remplissons ce devoir. Il ne recule pas devant le mot, car la pensée lui paraît juste. Ce n’est pas une fois et en passant qu’il emploie l’expression, elle est le terme technique dont il use à plusieurs reprises pour désigner les devoirs de l’homme envers sa patrie, par exemple, IF-Il 89, q. lxxx, a. uniq. ; q. ci, a. 1, 3 ; In ///>" » Sent., dist. XXXIII, q. iii, a. 4.

Ce faisant, saint Thomas ne se laisse pas entraîner, plus qu’il ne convient, par des souvenirs de l’antiquité païenne. Sans doute, il cite et répète avec complaisance une phrase de Cicéron où il est parlé de ce culte, de cette piété. Mais évidemment, cette fois comme toujours, le docteur chrétien ne donne place, en sa synthèse doctrinale, à une expression employée par un philosophe païen que pour s’être convaincu de la concordance de ce terme et de la notion qu’il évoque avec l’enseignement de la théologie révélée.

Le mot est en effet bien choisi. Entre toutes nos relations avec les personnes qui nous entourent, nos rapports avec nos parents et la patrie apparaissent comme ceux qui sont davantage une « communication d’être ». Ils sont donc aussi ceux qui rappellent le moins mal l’action créatrice du Très-Haut tirant quelque chose du néant, ceux dans lesquels se reflète et transparaît mieux le Divin. Il convient donc que, pour nommer nos devoirs envers parents et patrie, nous choisissions un mot spécial et tiré du vocabulaire religieux ; il est juste que, la vertu, motivée par les services les plus semblables aux bienfaits de Dieu, soit désignée par le terme qui se rapproche davantage de celui dont nous usons pour exprimer nos devoirs à l’égard de l’Être suprême. Si à lui seul est due la

relit/ion, aux parents et à la patrie, nous sommes tenus d’accorder la piété. Sum. theol., IIa-IIæ, q. cr, a. 1 corp., ad lum et 3 ii, n ; a. 3 ; q. cvi, a. 1, ad l ua

A qui serait tenté de s’étonner, comme si la distance entre Créateur et créature n’était pas assez maintenue, il est facile de répondre : parents et patrie sont la très imparfaite, mais bien réelle image du Père du ciel. Leur vie et leur autorité rappellent l’Être et la Puissance incréés, dont elles dérivent. Ainsi, quand nous honorons notre famille, domestique ou nationale, de lui-même, sans que nous y pensions, pourvu seulement que nous ne nous y opposions pas, notre acte se dirige vers l’adorable Majesté. Vers elle tendent, de par leur nature du moins, sinon par une décision explicite de notre volonté libre, les hommages rendus par nous à qui représente Dieu. Ils peuvent donc être tenus pour des œuvres de piété. II a -lI æ, q. ci, a. 3, ad 2um. <

L’usage s’est maintenu, dans certaines langues, de souligner, par ce terme, tout ce qu’a de sacré l’amour témoigné par nous à nos parents. Rien de plus raisonnable : quand nous parlons de piété filiale, nous ne hasardons ni une métaphore, ni une hyperbole, et le mot n’a pas seulement le mérite d’être un cri du cœur ou de charmer notre imagination. Sans oublier un instant son souci ordinaire de la justesse de la pensée, ou de la précision de la forme, saint Thomas n’hésite pas à déclarer son emploi légitime, convenable et opportun. Mais pour lui, la locution piété envers la patrie ou piété civique est tout aussi recevable, aussi digne d’être mise en circulation.

Cette expression a d’abord l’avantage de maintenir une tradition chrétienne à laquelle avait préludé la sagesse antique. De plus, ce mot piété exprime à lui tout seul, les divers devoirs du patriotisme ; il en explique le caractère obligatoire et la sainteté ; il montre la source religieuse de cette vertu et son lien avec le culte dû à Dieu ; il condamne toute tentative d’ériger la patrie en idole et de la placer au-dessus du Très-Haut.

Le principe posé interdit, en effet, toute apothéose d’une créature, individu ou collectivité. Parents et patrie demeureront toujours, par rapport à Dieu, ce qu’est la cause seconde face au principe premier. Dans une mesure pareille, la vertu de piété filiale ou civique se subordonne à celle de religion. IP-II 86, q. c », a. 1 corp. ; a. 3, ad 2um ; a. 4 corp.

Mettre un mortel ou la nation plus haut que Dieu, ou comme on dit encore, au-dessus de tout, c’est non seulement adopter une ligne de conduite que rien ne justifie et que tout condamne, la raison et la foi, attitude aussi attentatoire aux libertés du citoyen qu’aux droits du Créateur ; c’est encore supprimer le plus sublime motif de la piété envers la patrie, puisque cette vertu n’apparaît jamais plus légitime et plus obligatoire que si elle est considérée comme le culte rendu, en des hommes qui nous communiquent la vie et nous dirigent, à celui qui les fait participer à sa puissance et les investit de son autorité.

De même, si on veut déterminer à qui nous lie d’abord la vertu de piété, il suffit de faire appel au même principe fondamental. Un culte nous est imposé à l’égard de qui représente Dieu, en nous donnant l’être et en nous gouvernant. Or, c’est seulement pour avoir reçu la vie de nos parents que nous sommes dans une patrie. C’est par eux que nous entrons en rapport avec elle ; c’est à eux que nous sommes unis par les liens à-la fois les plus forts et les plus doux ; c’est donc vers eux premièrement que doit aller l’hommage de notre piété. Voilà pourquoi, fait observer saint Thomas, le quatrième précepte du décalogue ne parle en termes exprès que de l’honneur dû par nous à notre père et à notre mère, pour mieux attester la prédo-