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PAUL (SAINT). L’ANTECHRIST


ne pouvait plus s’asseoir dans le temple de Jérusalem. Mais wa-s peut marquer une simple tendance, une disposition qui, en fait, ne se traduit point en acte, cf. Luc, iv, 29 ; » l’impie » irait jusqu’à s’asseoir dans « le temple de Dieu ». Ces traits rappellent ce qui est dit du roi de Babylone, Is., xiv, 13 sq., du prince de Tyr. Ez., xxviii, 2, et surtout d’Antiochus Épiphane, le typedel’antéchrist, Dan., xi, 36 ; cf. I Macch., ii, 15 ; II Macch., v, 18 ; Dan., vii, 25 ; Apoc, xiii, 1 sq.

Certains interprètes entendent autrement le « trône de Dieu ». L’ « impie » tentera un assaut contre le trône même de Dieu, dans le ciel, comme dans la légende babylonienne du dragon ; cf. W. Bousset, Der Antichrist, p. 97 ; R. H. Charles, The Ascension oj Isaiah, p. lv-lvi et lxi sq. En transformant ainsi la légende, l’Apôtre aurait marqué la lutte de deux principes. Mais cette hypothèse ne s’appuie sur aucune donnée sérieuse ; l’Apôtre rattache son exposé à l’histoire, non à la mythologie.

Plus obscur encore que la présentation de l’Antéchrist est celle de l’obstacle mystérieux qui l’arrête momentanément. Saint Paul, dans sa prédication, s’était sans doute expliqué sur cette puissance ou cette personne. Mais il est très important de noter qu’au ꝟ. 7 : » le mystère d’iniquité est déjà à l’œuvre » ou « s’accomplit déjà », le texte ne dit pas que l’antéchrist même opère déjà. Il est au contraire retenu par un obstacle, tandis que l’impiété s’élabore déjà sous l’influence d’un principe mauvais, sans doute, de Satan, dontl’antéchrist, au moment de son apparition, sera l’instrument ou la personnification ; cf. ꝟ. 9. Lorsque l’obstacle aura été écarté, 1’ « impie » se révélera ; mais le Seigneur Jésus l’anéantira d’un « souffle de sa bouche » ; cf. Is., xi, 4 : « du souille de ses lèvres, il anéantit les impies », cf. Ps. xxxui, 6. Il n’aura qu’à paraître, sa seule présence suffira à réduire à néant l’antéchrist, àpxst rcapetvoa aùxôv, dit Saint Jean Chrysostome.

Cet impie est donc un personnage distinct de Satan, cf. ? 9. L’Apôtre ne dit ni où il est, ni d’où il viendra. Il insiste sur l’attitude ferme à garder dans la foi pour ne pas être séduit : il faut accepter « l’amour de la vérité ». Il s’en tient évidemment, dans l’application, à l’enseignement moral. Les allusions, très voilées pour nous, à la personne ou à la nature de l’antéchrist, n’ont probablement, à ses yeux, que la valeur d’un argument ad hominem.

On se demande généralement si, dans la pensée de l’Apôtre, la notion d’antéchrist a une portée historique ou eschatologique. Elle a incontestablement une portée eschatologique puisque la « parousie » de « l’homme de péché » doit précéder immédiatement celle du Christ. La question devra donc plutôt se poser : saint Paul, ou les Thessaloniciens, regardent-ils l’antéchrist comme un personnage historique déjà existant de leur temps ; et, si oui, cela implique-t-il un enseignement sur l’imminence de la fin des choses ?

Le mot’Av-ri^piaToç ne se lit pas dans saint Paul, on le rencontre pour la première fois dans saint Jean, I Joa., ii, 22 ; iv, 3 ; II Joa., 7. Mais la notion d’un adversaire de Dieu ou du Christ est beaucoup plus ancienne. Elle ne semble pas être d’ordre historique dans ses origines. Elle se rattache plutôt à la notion biblique de Satan, l’ennemi et l’adversaire de Dieu dans l’ordre moral. Cette opposition habituelle de Satan à Dieu devait revêtir une violence particulière dans les « derniers temps ». A ce moment devait se jouer le dernier acte de cette lutte et Satan devait être définitivement vaincu. Dans la littérature juive, BsXîap, Earavâç, S’ÂèoXoç, Ttvsijjza àéptov, représentent le même adversaire de Dieu dans l’ordre religieux et moral. Le rôle du Christ devait être de le réduire à néant lors de sa venue. Cf. Test. Levi, xviii, 12 ;

Assumpl. Mos., x, 1. Une idée analogue se rencontre dans Matth., xii, 28 ; Luc, xi, 20 ; Joa., xir, 31 ; xiv, 30 ; xvi, 11 ; cf. Apoc. xii. S sq. ; xiii, 1 sq. ; xvi 13 ; xx, 1-3, 7-10.

Toutefois, la conception d’un règne terrestre de Dieu et du Messie, dans le judaïsme, ainsi que les persécutions endurées par les Juifs pendant la période grecque, avaient fait regarder tel prime persécuteur comme l’incarnation ou le type de Satan. C’est bien le cas pour Antiochus IV Épiphane. Le tableau que Daniel en avait tracé, c vii, 8, 19-25, cf. c. xi, 21-45, devint le type d’un ennemi historique et politique du règne de Dieu et du Messie. Cet ennemi, les Juifs le retrouvaient tantôt dans un personnage, tantôt dans un autre, qu’ils regardaient comme « l’adversaire des derniers temps ». Après Antiochus Épiphane, ce furent successivement : Pompée, le profanateur du sanctuaire de Dieu, le « dragon » des derniers temps, Ps. Salom., ii, 26 sq. ; puis Hérode le Grand, désigné peut-être sous les mêmes traits d’Antiochus Épiphane dans Assumpl. Mos., viii ; puis Caligula, qui ordonna de faire placer sa statue dans le Temple, pour punir les Juifs après la sédition de Jamnia, ordre qui, d’ailleurs, ne fut pas exécuté ; mais les Juifs eurent un instant le sentiment que le pSfXuyfzoc t% èpïj^côcecoç prédit par Daniel était sur le point de s’accomplir et ils gardèrent la conviction que l’antéchrist devait trôner dans le temple de Jérusalem. Cf. Marc, xiii, 14 ; Matth., xxiv, 15 ; Schùrcr, Geschichte des jiïdischen Volkes, t. i, 4e édit., 1907, p. 503, 505.

Le christianisme, en rejetant la conception d’un règne du Messie au sens politique ou national, rejetait du même coup celle d’un antéchrist adversaire politique voulant s’imposer par la violence ou par les armes. Il reprenait l’ancienne idée d’un adversaire au sens moral et religieux. Ce retour à l’ancienne conception est très remarquable chez saint Paul. Au moment où il écrit, l’Église s’établit dans l’empire romain, et les pouvoirs publics ne lui font aucune opposition. Ce n’est donc point dans l’ordre politique, mais dans l’ordre religieux, qu’il faudra chercher l’adversaire auquel saint Paul fait allusion. Tout en conservant les termes traditionnels par lesquels les Juifs l’avaient désigné, il le dégage de l’histoire et lui donne un sens uniquement moral et eschatologique : la « révolte » ou « apostasie » qui précède sa venue est d’ordre religieux, non politique. L’antéchrist lui-même, distinct de Satan, est son instrument, ou son incarnation. Satan est déjà à l’œuvre par ses adeptes quels qu’ils soient ; ainsi s’accomplit « le mystère d’iniquité ». Cependant, il est contenu par une force ou une puissance personnifiée, probablement l’archange saint Michel, l’opposé traditionnel de Satan, le protecteur d’Israël et de la Synagogue et plus tard celui de l’Église. D’autres voient dans cet obstacle mystérieux les pouvoirs publics, principe d’ordre et de sécurité. Mais cette opinion nous paraît moins probable, parce que l’Apôtre ne se place point sur le terrain politique, mais religieux. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, 1. 1, p. 97 sq. ; S. Augustin, De civ. Dei, XX, xix, P. L., t. xli, col. 685-687 ; S. Irénée, Cont. hæres., V, xxv, 1, P. G., t. vii, col. 1188-1192 ; Knabenbauer, In èp. ad Thess., p. 148.

Ainsi, la description de l’Apôtre marque une transformation sensible de la croyance juive au I er siècle. L’antéchrist, cet être malfaisant, perd sa signification politique pour prendre une signification morale. Au moment où le christianisme se sépare du judaïsme, 1’ « homme de péché », 1’ « adversaire » n’est plus conçu par l’Apôtre comme un tyran qui s’impose par la violence, mais comme un séducteur, un faux Messie, qui, par des « signes » et des prodiges, veut se faire adorer comme Dieu. Si les Thessaloniciens croyaient à