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PÉCHÉ MORTEL ET PECHE VENIEL. DÉFINITION


l’obligation de l'éviter ne tient pas à sa malice formelle, mais au dommage qu’il comporte. C’est ici que nos auteurs expriment cette réserve importante, qu’il n’est pas improbable que la doctrine de leur première conclusion doive être restreinte aux mouvements illicites en toute matière, sauf les délectations vénériennes : à cause de la liaison de celles-ci, au moins lorsqu’elles déterminent une grave commotion, et à partir d’un objet peut-être léger, avec l’acte de la pollution. Ils n’en décident pas absolument, parce que le cas peut aussi se rencontrer où une délectation qui serait propre à exercer cette influence, en fait ne l’exerce pas. N. 197-198.

Ainsi peut être décrit l’acte humain imparfait, qui ne saurait dès lors, quel que soit son objet, prendre raison de péché mortel. En ces conditions, il ne peut constituer en effet une opposition à la vraie fin dernière : il ne traduit pas une résolution suffisante de la volonté. Par ailleurs, que l’on se garde d’exiger pour le péché mortel la plénitude de la perfection dont est susceptible un acte humain ; nous avons appris déjà de saint Thomas que des péchés d’ignorance et de passion, où le volontaire cependant est diminué, peuvent être mortels. Les règles que nous avons reproduites délimitent, autant qu’il se peut, la perfection en deçà de laquelle un acte humain ne peut être que péché véniel ; mais elles laissent place à bien des péchés mortels qui ne seraient point des actes humains de tout point intègres et parfaits.

3. La « parvitas materiæ ». — Il se peut qu’un objet donne lieu de sa nature à un péché mortel, qu’on exerce à son endroit un acte humain suffisamment parfait, et cependant que l’on ne commette qu’un péché véniel. La cause en est dans les limites très restreintes selon lesquelles cet acte atteint cet objet. Et l’on a affaire au péché véniel que les théologiens ont dénommé ex parvitale materiæ.

En son étude spéciale du péché véniel, saint Thomas ne mentionne pas cette catégorie ; mais il la rencontre à propos du vol et de l’avarice. En ce dernier texte, Sum. theol., IP-II 32, q. cxviii, a. 4, il appelle un tel péché véniel ex imperfectione actus ; mais l’imperfection s’y prend cette fois, non de la délibération ou du consentement, mais de la quantité de l’objet, comme s’en est expliqué notre auteur sur le cas du vol, ibid., q. lxvi, a. 6, ad 3um, dans les termes que voici : « Ce qui n’est que peu de chose, la raison le tient pour rien : illud quod modicum est, ratio apprehendit quasi niliil. C’est pourquoi, dans les choses insignifiantes, on n’estime pas avoir subi un dommage ; et celui qui prend peut présumer que cet acte n’est pas contraire à la volonté du propriétaire de la chose. Et pour autant, si quelqu’un dérobe de tels menus objets, il peut être excusé de péché mortel. Si cependant il avait l’intention de voler et de causer un dommage au prochain, même en ces petites choses peut se rencontrer le péché mortel : comme du reste dans la seule pensée si l’on y consent. » Le cas se présente donc excellemment en matière de justice, et l’on voit en quel sens il le faut traiter : le péché n’est point mortel parce que cet acte ne cause pas au prochain vraiment dommage, et donc il ne contrarie pas la charité.

Les théologiens admettent universellement le péché véniel ex parvitutf materiæ. Les carmes de Salamanque en Justifient d’une façon générale le caractère véniel dans les termes suivants, qui se réfèrent, on le verra « i dessous, à la définition même du péché véniel : SI M que l’acte coupable atteint dans la chose défendue n’est p ; is dune telle importance qu’on le puisse tenir pour partie notable, ni ne contribue beaucoup à sa substance et à la fin voulue, de ce chef la loi n’est pas violée absolument, niais relativement : parce que Cela en quoi elle est violée u’e I que relativement

défendu par cette loi, et cela qui est absolument appelé chose défendue demeure entier, cette partie même étant ôtée. » Disp. XIX, n. 23. Le soin des théologiens, on le devine, a été de mesurer aussi exactement que possible quand il y a insuffisance de matière. Une détermination mathématique serait ici entreprise vaine et viciée dès le principe. Il appartient à la prudence de chacun de juger des cas particuliers. On s’inspirera avantageusement de ces deux lois générales, que rapportent les Salmanticenses : considérer si la matière en cause importe beaucoup à la fin poursuivie par la loi, et non seulement la quantité brute ; considérer les circonstances qui ont conduit le supérieur à imposer un précepte en cette matière. Disp. XIX, n. 24. On s’est aussi demandé si l’insuffisance de matière s’entend universellement, et s’il n’y a point lieu de faire une exception, notamment en matière de chasteté. Mais comme cette recherche n’intéresse pas le péché comme tel, il nous suffit de la signaler et de renvoyer au judicieux exposé qu’en font les carmes de Salamanque. Disp. X, dub. vi, appendice. Voir aussi ait. Luxure, t. ix, col. 1340 sq.

3° La définition du péché mortel et du péché véniel. - — L’effet différent des péchés à l’endroit du principe de l’ordre moral tient donc dans le péché lui-même à quelqu’une des conditions que l’on vient de dire. On réduit celles-ci à l’unité en même temps qu’on exprime formellement la nature des péchés mortel et véniel en disant que, dans tous les cas, le premier est simpliciler contra legem, tandis que le second est prscler legem.

En invoquant ici la loi ou la règle, on dénonce dans cette qualité de mortel et de véniel, en quelque sorte qu’elle se vérifie, une différence relative à la moralité même de l’acte du péché. Comme l’acte humain est formellement bon en tant qu’il est conforme à la règle, sa malice est une discordance d’avec la règle : c’est pourquoi l’on a allégué la loi dans la définition même du péché ; en l’alléguant de nouveau ici, on déclare l’intérêt formellement moral de cette division. Et, en répartissant ces péchés selon une discordance de contrariété ou de prélérition, on signale dans cette division les deux catégories les plus communes de l’action mauvaise, car il n’y a rien qui divise plus immédiatement la discordance d’avec la loi que la manière même dont elle se vérifie, et que traduisent les prépositions contra et præter.

1. Bien-fondé de la définition.

Pour la justifier, il suffit de montrer d’une part que le caractère d’abord reconnu à ces deux péchés, ôter ou respecter le principe de l’ordre moral, dénonce proprement, dans l’acte du péché, soit la contrariété soit la prétention par rapport à la loi. Or, la loi est, de sa nature, au service de la fin dernière de la vie humaine : ces deux termes sont corrélatifs, et le bien, c’est-à-dire la fin, est compris en la définition même de la loi. De ce chef, méritent principalement le nom de lois les préceptes nécessaires à l’ordre de la fin dernière ; ceux qui n’ont pas cette nécessité n’obtiennent ce nom que secondairement. Le péché mortel contrarie les premiers ; le péché véniel y passe outre puisque ne les contrariant pas ; cependant il n’est point réductible en son acte à l’ordre de la fin, qu’ils assurent. Et ainsi s’entend exactement la prétention alléguée, præter, à savoir par rapport à une loi proprement dite (cf. en ce sens II » II', q. cv, a. 1, ad 1um). On peut dire aussi (lue le péché véniel ne contrarie que les seconds préceptt s, et la prétention, dans ce cas, signifie une contrariété relative, savoir celle qui affecte des lois non nécessaires a l’ordre de la fin dernière, auquel du reste elles concourent. Il faut montrer d’autre pari que ce rapport de contrariété ou de prétention dont on parle convient aux trois catégories « le péchés mortels ou véniels, mais cette convenance ressort de