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PER F ECT I n chu ET I E N N E. OBLIGA TION

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3. Que ce <iui est susceptible d’accroissement > indé linis ne peut être appelé parfait, ce qui veut dire achevé, terminé, à quoi l’on ne peut rien ajouter ; or, telle est notre charité ici bas, De carit., troisième Sed contra. Saint Thomas concède que la perfection à laquelle nous pouvons al teindre ici-bas n’est pas la perfection simpliciter, la perfection absolue, qui n’appartient qu’à Dieu ; ni la perfection secundum humanam naturam, qui ne sera réalisée qu’au ciel ; c’est une perfection secundum tempus, c’est-à-dire essentiellement progressive : ea vero quæ sic. perfecta sunt, hubent quo crescant, ut de pueris palet ; et ideo caritas in hue vil<i semper habet quo crescat.

On trouvera dans la Vie spirituelle, I. i, p. 3112-320, p. 409-417, et t. ii, p. 00-58, une étude de dom B..Maréchaux sur La construction ascétique de saint Augustin, où l’on montre quelle est, d’après saint Augustin, le principal guide de saint Thomas en cette question, « la perfection réalisable dans la vie présente ».

IV. La perfection est-elle obligatoire ? — Faut-il distinguer entre tendre à la perfection et la posséder ? Saint Thomas le fait dans son commentaire de III Sent., dist. XXIX, q. i, a. 8, sol. 2, quoique, dans la première objection de la qu. 2, à laquelle correspond précisément cette solutio 2, il semble bien n’y mettre aucune différence. La question à résoudre était celle-ci : Utrum omnes teneantur ad caritatem perfectam ? sa réponse sera négative ; or, à sa thèse négative, il oppose l’axiome de saint Bernard : ne pas avancer, c’est reculer ; donc, conclut-il, omnes tenentur ad perfectionem caritutis tendere. Que peut bien être, en effet, l’obligation de tendre à la perfection, sinon l’obligation de dépasser la limite du devoir strict, l’obligation de progresser dans la perfection, l’obligation de se rapprocher de plus en plus de la perfection absolue, qu’on ne peut d’ailleurs jamais atteindre en cette vie ? En outre, l’obligation de tendre à la perfection se distingue-t-elle de l’obligation d’aimer Dieu autant qu’on le peut, de l’obligation d’accomplir toujours le plus parfait, quand ce plus parfait est en notre pouvoir ? Dans la quatrième et dernière des objections de la qu. 2 qui nous occupe, saint Thomas formule à peu près en ces termes la thèse opposée à sa thèse négative : Ergo quilibet débet pro Deo fæere totum quod potest. Potest autem ad opéra perfection is se extendere. Ergo tenetur ad illa. Il semblerait donc que, pour saint Thomas, être tenu à la perfection, être tenu de tendre à la perfection et être tenu d’accomplir toujours le plus parfait, soient des expressions à peu près synonymes. Enfin, la question de l’obligation d’être parfait a besoin d’être encore précisée selon qu’il s’agit de l’ensemble des chrétiens : Utrum omnes…, ou de la catégorie spéciale des s parfaits », ou de ceux qui ont embrassé l’état de perfection.

1° Tout le monde est-il obligé d’être parlait ? — 1. Le pour et le contre. — L’article 1 1 du De caritate qui porte ce titre ( Utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem) ne comprend pas moins de douze videtur quod sic, de douze arguments qui permettraient de prouver la thèse affirmative. Signalons les principaux :

a) Le plus important de tous, celui contre lequel saint Thomas déploiera tant d’ingéniosité, se tire du précepte de l’amour de Dieu, tel qu’il est formulé par l’Ecriture : Diliges Dominum Deum luum ex loto corde. A plusieurs reprises, saint Thomas avouera que, en ce qui concerne l’amour de Dieu tout au moins, il n’y a pas à distinguer la zone de l’obligatoire au delà de laquelle s’étendrait la zone du surérogatoire : Sic igitur præceplum ilileclionis Dei… nullis lerminis coarctatur, ut possil dici quod lanla dileclio Dei codât sub præeepto, major autem dileclio limites præcepti excédais sub consilio cadat ; sed unieuique prweipitur ut

Deum diligat quantum potest, quod ex ipsa forma prie cepti apparet. Contra retrait.. c. vi…i IIa-IIæ, q. clxxxiv, a. 3. assimile à ce point de vue le précepte de l’amour du prochain a celui de l’amour de Dieu.

/< i La perfection consiste à rapporter à Dieu tout ce qu’on lait non seulement habitualiter, mais àctualiter ; or. saint Paul nous eu tait une obligation, I Cor., x..’il : Sive manducatis…. omiiia in gloriam Dei facite. I)e carit.. obj. 2 et 3.

c) Les perfectionnements apportés à la Loi ancienne par l’Évangile s’imposent au chrétien de necessilaie saluiis ; or, ces perfectionnements étendent l’obligation jusqu’au domaine de la perfection : pnvdicta adimpletio ait perfectionem pertinet ; et c’est pourquoi Jésus termine sa réforme de la Loi par cette sentence : Estote perfecti, sicut l’aler vester cœleslis per/eclus est. De carit., obi. I.

dj C’est être parfait, selon saint Augustin, que d’être prêt à mourir pour ses frères ; mais à cela nous sommes tenus, selon 1 Joa., iii, 16 : Et nos debemus pro fralribus animas ponere. De carit., obj. 9 ; In ///um Sent., loc. cit., obj. 2.

e) C’est être parfait que d’aimer Dieu autant qu’on le peut : perfectio caritatis in hoc consislit ut aliquis facial pro Deo quod potest, quia nullus facit ultra passe ; mais à cela nous sommes tenus par la justice ; car, selon Aristote. Deo et parenlibus non possumus reddere œquivalens, sed sufficit ut quilibet eis reddat quod potest. De carit., obj. Il ; In III am Sent., obj. 4. A l’appui de cette exigence, on peut encore invoquer le texte de l’Eccl., ix. 10 : Quodcumque fæere potest munus tua, inslanler operare. Cf. q. ci.xxxyi, a. 2, ad 2um.

f) Mourir pour le Christ est une œuvre de charité parfaite ; mais mourir pour le Christ est obligatoire en certaines circonstances. Donc. In 1 1 Ium Sent., obj. 3.

g) Xe pas avancer dans la vie spirituelle, c’est reculer, dit saint Bernard, ce qui signifie sans doute pécher. Donc, il y a pour tous obligation d’avancer, de progresser. Mais progresser, c’est tendre vers la perfection. Ergo omnes tenentur ad perfectionem caritatis tendere. Ibid., obj. 1.

De quelles autorités, de quels arguments, saint Thomas va-t-il pouvoir étayer sa thèse négative ?

a) Le Sed contra du De caritede n’aurait sans doute pas contenté saint Augustin : Xullus tenetur ad id quod non est in ipso ; sed habere perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo ; non ergo potest esse in præeepto.

b) Celui du commentaire In IIIum Sent, ne satisferait pas nos contemporains, qui demanderaient à distinguer entre péché mortel et péché véniel : Quilibet peccat omittens id ad quod tenetur ; si ergo omnes tenentur ad perfectam caritatem, omnes imper/ecti damnarentur ; quod jalsum est. Quelle que soit la valeur de l’argument, une chose est certaine à priori pour saint Thomas, c’est qu’on n’est pas damné pour n’être pas parfait ; la perfection n’est pas de necessitale salutis. C’est sans doute tout ce qu’il prétend prouver, en sorte que sa question aurait eu besoin d’être précisée par l’addition : sub peccato mortali ou de necessilate saluiis. S’il en était ainsi, il paraîtrait difficile d’invoquer l’autorité de saint Thomas dans la controverse récente : « péché véniel ou imperfection ? »

c) Pour imposer l’obligation d’être parfait, on invoquait la teneur du précepte de l’amour de Dieu, la forma priecepti ; or, en maintes circonstances, le Christ. ex ipso modo loquendi. a bien montré que ce qui est matière de perfection n’est pas imposé, mais laissé à notre bonne volonté : Unde ex ipso modo loquendi apparet lurc (il s’agit de l’odium et abnegatio sui ipsius) a Domino proposila esse quasi ad perfectionem pertineant (et, par définition, ce qui est matière de perfection s’oppose à ce qui est matière de précepte). Sicut enim dicil : Si vis perfectus esse … » non necessitalem