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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/78

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PÉCHÉ. INTRODUCTION

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à quelque règle : « pécher contre la langue ». La philosophie sanctionne l’usage et abandonne ce mot volontiers à la théologie. L’n moraliste contemporain, toutefois, le retiendrait comme signifiant la perversion de la volonté même de l’agent moral, que ne marquent aussi nettement ni le mot de faute ni le mot de crime. Cf. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1928, au mot Péché.

Si l’on néglige cette acception rare, notre mot français traduit heureusement celui de peccalum, tel que l’ont employé les théologiens. Ceux-ci ont pris leur vocable de la langue latine. Il y signifie, et chez maints auteurs, une faute morale, ce qui ne comporte point nécessairement une transgression de la loi divine. Mais il avait dans la langue classique une signification plus étendue et débordant la morale ; dont il y a une trace dans certains usages du verbe français. Par ailleurs, la langue latine disposait d’autres mots pour exprimer de quelque façon la faute morale, comme culpa, crimen, delictum ; de la même famille que peccalum : peccatio et peccatus, -ûs, qui sont d’un usage rare. Cf. Forcellini. Tolius lalinilatis lexicon, Prato, 1858-1860, aux mots cités. Il faut particulièrement relever dans la langue philosophique de Cicéron le mot de peccalum, qui traduit l’àjjt.âp-r/)fi.a des stoïciens : cf. Marin O. Liscu. Élude sur la langue de la philosophie morale chez Cicéron, Paris, 1930, p. 213 ; il s’entend donc, avec le sens moral qui est alors le sien, en fonction du système entier (cf. in/ra). Un texte typique de la langue latine sur le sens moral attaché au mot dont nous parlons, chez Cicéron, Epist. ad /a/ ?)., 1. Y. c. i sub / : Tu, si me diligis, jruere islo otio, tibique persuade, prêter culpam et peccalum, qua semper caruisti et carebis, homini accidere nihil posse quod sil horribile aut perlimescendum. I ! est remarquable qu’en matière de péché les auteurs chrétiens ont renchéri sur le vocabulaire classique et créé notamment peccator et peccatrix (on trouve peccans chez Sénèque et » eccalus, de peccor, chez Térence ; cf. Lexicon cité).

Sous le mot de péché », nous traitons ici du peccalum considéré en sa seule acception théologique. Sur le mot signifiant le péché dans les langues anglosaxonnes (anglais, Sin : allemand. Sùnde), voir une intéressante dissertation de.1. Grimm, Abstammung des Worte » Sùnde. dans Theologische Studten und Kritikeit, t. ii, 1839, p. 717 sq ; l’article Sin (teutonic), dans.T. Hastings, Encyclopædia o/ religion and ethics, t. il. p. 570.

Motion générale du péché en dehors de la révélation.

La théologie catholique du péché dérive proprement de la révélation chrétienne. Mais il peut n’être pas indifférent au théologien de connaître quelle idée ont eue du péché les religions et les philosophles. Il appartient à des disciplines spéciales de l’en informer.

Sur le péché dans les religions des non-civilisés, on peut consulter, mais en surveillant les interprétations de l’auteur : ]’.. Westermarck. L’origine et le dévelop pement des idée » morales, trad. franc.. Paris, 1928, 2 vol., t. iii, c. xi.ix-r n et passim. voir l’index au mot Péché ; dans les diverses religions, « m lira les monographies groupées snus l’article Sin dans [’Encycto pædia de.1. Hastings citée supra. Le sens « lu péché, accusé dans la plupart des religions, s’j accompagne d’erreurs et de déformations manifestes. Un essai récent de philosophie religieuse voll dans l’idée de péché, entendu d’ailleurs en un sens spécial, la note dlstinctive et commune des religions supérieure ! G. Mensching, hnIdée der Sùnde, Leipzig, 1931 (Les trois ouvrages que nous venons de citer sont munis de bibliographies, i

A cause de son rapport historique avec la pensée chrétienne, il importe davantage qu’on signale quelle idée du péché propose la philosophie grecque. Sur le, vocabulaire du mal qu’on y trouve (àStxy ; jjLa àjjwepTâvco et ses dérivés, àv6p.Y)ji. « et àvop-îa. xaxta et y.axôç, p.o/67)pîa, 71apà71Tco[i.a, Trovr]pta), il faut prendre garde de distinguer l’acception religieuse et usuelle d’avec l’acception philosophique, cette dernière dépendant d’analyses morales ou juridiques, selon lesquelles on la doit déterminer ; on peut observer aussi qu’aucun de ces mots n’a une signification exclusivement morale et que celle-ci est souvent une adaptation du mot plutôt que sa valeur originale, p. ex. àp-apTOcvco qui, par la traduction latine, est devenu notre mot pécher signifie premièrement aberrare. Cf. H. Estienne, Thésaurus græcæ linguse, Paris, Didot, 1831-1856, aux mots cités.

Au plan de la systématisation philosophique, se situe la célèbre théorie de Socrate où le péché est interprété comme une ignorance ; personne ne pèche volontairement ; la science véritable du bien entraîne nécessairement l’action bonne : la vertu est une science. Par ailleurs, les accents superbes de Platon sur l’injustice comme le plus grand des maux, Gorgias, 468c-478e, sur la fatale punition du mal comme sur l’infaillible récompense du bien. Lois, X. 905 a, 904 b-c appartiennent à la tradition religieuse de la Grèce : les tragiques, les lyriques. Homère en ont de semblables. Cf. art. Sin (greek), dans Encyclopædia… ; Diès, Autour de Platon, Paris, 1927, p. 586, 600-601 : Y. Sesemann, Die Elhik Plato und das Problem des Hôsen, dans Phil. Abhandl. Herm. Cohen dargebracht, Berlin. 1912, p. 170-189.

Pour Aristote, il est assuré qu’on ne trouve point dans sa morale l’idée du péché, telle que nous l’avons communément aujourd’hui. On en peut voir la cause dans une notion encore imparfaite de la liberté, d’où dérive une conception du devoir assez incertaine. Roland-Gosselin, Aristote, Paris, 1928, p. 110-114. On peut marquer aussi que la béatitude, principe de l’ordre moral, est conçue par Aristote moins comme une possession de Dieu que comme la perfection de l’homme : or, qu’un homme ne veuille pas être parfait. cela n’aura guère d’inconvénients que pour lui. D’autant que la règle de raison, selon laquelle se conduit la vie morale, loin de se donner comme une dérivation de la Loi éternelle, conserve chez Aristote quelque chose d’empirique et s’autorise des jugements de l’homme prudent. En cette philosophie, le péché sonne comme une erreur et une maladresse, non pat du tout comme une violation de l’ordre divin, partant comme une offense de Dieu. Il est à peu près inévitable, attendu que l’on n’obtient pas la vertu du premier coup, mais l’on y procède parmi des essais manques, des approximations inexpertes et dont le régime peut durer longtemps. Voir l’excellente étude de A. -M. I-cstugière. La notion de péché présentée par S. Thomas. I>-II> q. Lv.v/, et sa relation à la morale aristotélicienne, dans The neu< scolaslicism. 1931. p. 332-311 : et l’étude philologique de P. van Braam, Ariitolele » use of âp.apxfa. dans Claastcal Quarterly, 1912. p. 266 sq.

Le stoïcisme opéra pour son compte cette référence de l’action humaine â l’ordre divin des choses, dont le défaut nous, a trappes dans la morale d Aristote Le devoir île l’homme, y enseigne-ton. est d’accorder sa volonté avec Ifl Volonté de Dieu. Qu’on l’entende d’ailleurs selon les doctrines de cette école, dont le pan théisme, on le sait, n’est pas la plus négligeable. Par l’influence de cette philosophie, les termes désignant le péché. à|iapTÎa et àpâpTv-.iza. devenus en latin lm il peu aluni, passèrent dans l’usagC général. on sait ipie Cicéron, avet le De offlciii notamment, contribua plus que quiconque à acclimater en latin