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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/79

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PÉCHÉ. INTRODUCTION

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ces vocables stoïciens, avec le sens moral qu’ils portaient. La culture tardive de Home, comme de la Grèce, se ressentit beaucoup de ce mouvement philosophique, auquel du reste n’était pas étrangère une certaine impulsion religieuse, lui revanche, la théorie particulière de l’égalité de tous les péchés, que devait connaître, pour la critiquer, la théologie chrétienne, est demeurée doctrine d’école et n’entra point dans la morale commune ; Sénèque lui-même, en ses écrits, n’en fait pas mention. Voir l’art. Sin (roman), dans Encyclopædia…, t. ii, p. 570 ; E. V. Arnold, Roman stoicism, Cambridge, 1911, c. xiv.

On ne peut omettre aujourd’hui de relever, comme l’un des traits les plus significatifs de l’âge où s’est propagé le christianisme, la diffusion et l’influence des religions de mystères. Le sens du péché, comme souillure de l’âme et comme obstacle au salut, y a certainement beaucoup gagné, quoique davantage, sans doute, que le sens proprement moral. Le problème est d’ailleurs difficile des rapports entre ces religions et le christianisme naissant. Sur le point du péché et de ses éléments connexes, on trouvera des indications dispersées dans l’ouvrage classique de Fr. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, 4e éd., Paris, 1929. Voir aussi B. Allô, L’Évangile en face du syncrétisme païen, Paris, 1910.

Un historien de la philosophie, V. Brochard, dénonçant naguère les différences des morales antiques d’avec la morale chrétienne, attribuait l’absence en elles du péché, tel que nous l’entendons, à la méconnaissance de l’idée du devoir, telle que, depuis, elle a prévalu dans les esprits. Une morale ordonnée au bonheur s’interdit par là même d’accueillir le péché, Revue philosophique, t. i, 1901, p. 1 sq. Cet article a suscité une riposte de A.-D. Sertillanges, ibid., p. 280 sq. Il forme le chapitre intitulé La morale ancienne et la morale moderne, dans le recueil Éludes de philosophie ancienne et de philosophie moderne, Paris, 1912. Prenons-}’garde. Il est vrai que les morales antiques, qui sont de préférence des morales du bonheur, n’offrent point en général la forte idée du péché qui distingue la morale chrétienne. Mais la cause n’en est point chez celle-ci la substitution du devoir au bonheur comme principe de la vie morale. On méconnaît une part considérable de la spéculation morale dans le christianisme, et nous osons dire la plus précieuse, quand on définit la morale chrétienne selon l’idée du devoir. Autant que les morales antiques, elle peut passer pour une morale du bonheur. Mais sa marque propre est d’avoir de telle sorte défini le bonheur et la vie morale qu’il commande, que les plus fortes exigences de la morale chrétienne y sont satisfaites. Le péché notamment est définissable dans un tel système, et nous tâcherons de le montrer. Il serait fâcheux de faire grief aux morales antiques de leur conception si humaine de la vie morale, quand leurs insuffisances tiennent à d’autres principes. Et il serait funeste de voir, dans la nécessité d’accueillir le péché et les notions connexes, une cause pour quoi la morale chrétienne dût passer de l’ordre du bien à celui du devoir, c’est-à-dire proprement réduire la plénitude et la beauté de la vie morale aux dimensions d’une justice.

Le péché d’après la révélation et la tradition.

Les documents de la révélation divine contiennent une doctrine du péché, d’où dérive proprement la théologie que nous devons exposer. Un dictionnaire spécial l’en a dégagée : art. Péché, dans le Dictionnaire de la Bible, de Vigoureux. Bans la sainte Écriture, le péché est représenté comme une opposition de la volonté de l’homme à la volonté de Dieu. Il ne se vérifie point seulement dans les actes extérieurs, mais jusque dans les pensées et les sentiments du cœur, rien n’échappe au regard de Dieu. Il a lieu quand est enfreinte la loi positive, aussi bien que la loi naturelle. Enfin, où s’accuse la référence précise du péché à la personne de Dieu, qui est comme la prétention de la religion révélée en cette matière, tout péché, n’atteignît-U qu’un autre homme, a la valeur d’un outrage personnel infligé à Dieu. Mais il ne s’agit jamais ici que des fautes volontaires, à l’exclusion de ces culpabilités inconscientes et fatales auxquelles ont cru d’autres religions.

Pour un complément proprement historique de cette étude, voir l’art. Sin, dans le Dictionary of the Bible, de Hastings ; en ce qui concerne plus spécialement la conception hébraïque et juive, Encyclopædia…, au mot Sin (hebrew and jewish) ; l’Évangile et le Nouveau Testament, l’art. Sin (Christian), ibid. ; l’art. Sin dans le Dictionary of Christ and Gospels, de Hastings. On notera particulièrement l’enseignement de saint Paul sur le règne du péché (où il s’agit du péché personnel et non pas seulement du péché originel), dont l’affirmation prend une vigueur incomparable en ce qu’elle est partie intégrante d’un système de salut, dont l’autre pièce est la justification. Cf. A. Lemonnyer, Théologie du Nouveau Testament, Paris, 1928, p. 80-85.

A partir de l’enseignement révélé, l’ancienne tradition chrétienne a préparé les voies à la théologie postérieure. Ici se situe, en cette matière, une séparation de la théologie catholique d’avec la protestante, laquelle se plaît à dénoncer une déviation ou une rupture entre la notion biblique et la notion ecclésiastique du péché ; en ce sens, art. Sùnde, dans Protest. Realencyklopadie, 3e éd., t. xix.

L’usage antique de la pénitence est un témoignage du sens du péché, tenu comme rupture d’avec Bieu et d’avec l’Église, dans les premières générations chrétiennes. Voir là-dessus les travaux relatifs à la pénitence. Les écrivains ecclésiastiques du iiie siècle, en Orient comme en Occident, offrent des indications et parfois une doctrine élaborée sur le sujet du péché. Clément d’Alexandrie et Origène ont très vif le sentiment que tous ont péché. Le baptême ne garantit pas une vie désormais innocente ; et l’on a pu se demander si Origène ne professe point une reviviscence de leurs anciens péchés pour les baptisés retombant dans le mal : mais il semble n’en être rien. Ces auteurs distinguent nettement la nature volontaire du péché : il est un fruit de notre liberté, laquelle se’concilie, observe Origène, avec la prescience de Bieu. Pour Tertullien, on sait de reste avec quelle rigueur il jugeait le péché. Sur cette période, voir Cavallera, La doctrine de la pénitence au lue siècle, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse, 1929, p. 19-36 ; 1930, p. 49-63.

Le grand nom de saint Augustin règne sur cette matière comme sur tant d’autres. Il propose en maints endroits, sur le péché, des analyses et des formules qui se sont imposées à jamais à la pensée chrétienne. Sa doctrine est ici plus abondante peut-être que systématisée. Tantôt, il représente le péché comme dirigé contre le but final de la création et donc comme une atteinte à l’œuvre du Créateur : les autres maux ne sont point de cette sorte, et c’est ici le privilège du péché. On s’y détourne, non de quelque bien meilleur, mais du souverain bien. En adhérant démesurément à la créature, on se prive de Bieu. A cet ensemble de pensées, se rattache la célèbre définition du péché comme contraire à la Loi éternelle que devait retenir la théologie et que nous retrouverons plus loin. Cf..1. Mausbach, Die Ethik des heiligen Augustinus, 2° éd., t. i. Fribourg-cn-B.. 1929. c. ii, §. 6. bas sittlich Bëse, die Sûnde. Tantôt il le représente comme une injustice où est violé le souverain domaine de Bieu sur le monde et sur l’homme. A l’intempérant, par exemple,