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PREDESTINATION. LE MOLINISME


serait plus véritablement efficace, mais au contraire inefficace et, par notre faute, stérile. Cf. A. Reginald, O. P., De mente concilii Tridentini, et A. Massoulié, O. P., Divus Thomas sui inlerpres, t. i. diss. II, q. ix.

  • Comme le notent ces thomistes, les protestants

disaient : La grâce de soi efficace est inconciliable avec la liberté a necessilate. Or, la grâce est de soi efficace. Donc il n’y a pas de liberté a necessitale. — Le molinisine concède la majeure de ce raisonnement et nie la mineure. Les thomistes, les augustiniens, les scotistes, nient la majeure, concèdent la mineure et nient la conclusion.

2. La théorie de la science moyenne n’a pas soulevé moins de difficultés que la définition de la liberté qu’elle suppose. On trouve ces objections des thomistes et des augustiniens longuement développées dans leur traité De Deo. Voir par ex. Billuart, Cursus theologicus, De Deo, diss. VI, a.. 6.

a) La théorie de la science moyenne, disent-ils, suppose que, si Pierre et Judas étaient placés dans les mêmes circonstances avec des grâces égales, il se pourrait que l’un se convertît et l’autre pas, ou que l’un se discernât de l’autre par sa seule liberté ; Molina nous a dit en effet : auxilio ivquali fteri potest ut anus vocatorum converlatur et alius non. Concordia, p. 51. Et Lessius ajoute : non quod is qui acceptât, sola libertate sua acceptet, sed quia ex sola libertate illud discrimen oriatur, ila ut non ex diversilate auxilii prwvenientis. De gratia efjicaci, c. xviii, n. 7. Or, disent les thomistes, les augustiniens et les scotistes, saint Paul écrit au contraire, I Cor., iv, 7 : Quis enim te discernit ? Quid habes quod non accepisti ? Si autem acceperis, quid gloriaris, quasi non acceperis ? texte expliqué par saint Augustin et par saint Thomas dans un sens nettement contraire à ce qu’affirme la théorie de la science moyenne. Cf. Salmanticenses, Cursus theot.. De gratia efjicaci, disp. II, dub. i.

b) De plus, cette science dite moyenne ne saurait avoir d’objet, ajoutent les adversaires du molinisme, car, antérieurement à tout décret divin, il ne saurait y avoir aucun futur conditionnel ou aucun futurible déterminé. Antérieurement à tout décret. Dieu peut bien prévoir, comme nous d’ailleurs, que si Pierre est placé en telles circonstances, aidé d’une grâce failliblement efficace, deux choses seront possibles pour lui : être fidèle à son maître ou le trahir ; mais il ne peut prévoir infailliblement lequel de ces deux possibles il choisira : ni l’examen de la volonté de Pierre de soi indéterminée, ni l’examen des circonstances ou de la grâce failliblement efficace, ne permettent cette infaillible prévision, mais seulement des conjectures. Le futurible en effet est plus qu’un simple possible, il comporte une détermination nouvelle, qui répond à la question : lequel de ces deux possibles opposés arriverait. Dire que le futur conditionnel est infailliblement connu par la supercompréhension de la volonté créée et des circonstances, c’est, pour sauver la liberté, tomber dans le déterminisme des circonstances, qui est la négation du libre arbitre ; et, si l’on veut échappera ce déterminisme, on ne peut assigner à la science moyenne aucun objet.

Saint Thomas avait écrit : Contingenlia futura, quorum veritas non est determinata, in seipsis non sunt cognoscibilia. I a -II « ’, q.cLXXi, a. 3. Et, selon lui, cela est vrai des futurs libres conditionnels, aussi bien que des futurs libres absolus. Dieu ne peut les voir en son essence, antérieurement à tout décret ; il les y verrait au même titre que les vérités absolument nécessaires, et l’on reviendrait ainsi au fatalisme logique des stoïciens.

Les molinistes ont bien cherché à répondre à cette objection, considérée par leurs adversaires comme insoluble. C’est à ce sujet que Leibniz disait : « C’est plaisir de voir comment ils se tourmentent pour sortir

d’un labyrinthe où il n’y a absolument aucune issue. » Théodicée, I ro part., c. xlviii.

c) Les thomistes objectent encore : la théorie de la science moyenne conduit à la négation de la causalité universelle de Dieu puisqu’elle lui soustrait ce qu’il y a de meilleur dans nos actes salutaires, leur détermination libre, Par là elle porte atteinte à la toute-puissance et au souverain domaine de Dieu, en prétendant que Dieu ne peut être, en nous et avec nous, l’auteur de cette détermination et de son mode libre. Elle conduit aussi à admettre une passivité ou une dépendance dans la prescience à l’égard de cette détermination libre d’ordre créé, qui sera d’abord un futurible, puis un futur ; Dieu n’est plus l’auteur, mais le spectateur passif de ce qui discerne le juste de l’impie, également aidés par lui dans les mêmes circonstances. Dieu, n’étant plus premier déterminant par sa détermination libre ou élection, est lui-même déterminé ; sa science est passive à l’égard d’un objet, d’une détermination qui ne vient pas de lui ; or, rien de plus inadmissible qu’une passivité dans l’Acte pur, ou qu’une dépendance en celui qui est souverainement indépendant et auteur de tout bien. Les thomistes signalèrent plusieurs autres inconvénients de la science moyenne ; il suffit de noter ici les principaux.

Tous ils ont dit que la théorie de la science moyenne porte atteinte au principe de prédilection, tel que l’a formulé saint Thomas : « Comme l’amour de Dieu est la source de tout bien, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. » I’, q. xx, a. 3. De fait, parmi les propositions de la Concordia de Molina qui furent le plus critiquées, comme le montre l’appendice de cet ouvrage (éd. cit., p. 592, 600, (505), il faut citer celle-ci : Fieri potest, ut duorum qui œquati auxilio interius a Deo vocantur, unus pro libertate sui arbitrii convertatur et cdter in infidelitale permaneat. Ibid., p. 51. On objecta que c’était contraire au principe de prédilection formulé, avant saint Thomas par saint Paul et par saint Augustin.

Le principe de prédilection, nous l’avons vii, suppose que les décrets divins et la grâce sont efficaces par eux-mêmes et non par notre consentement prévu ; Molina" ne peut dès lors lui reconnaître une valeur universelle et absolue, il le réduit à ceci : C’est parce que Dieu a plus aimé Pierre que Judas qu’il a décidé de le placer dans tel ordre de circonstances, où il prévoyait qu’il se sauverait ; cela ne relève que du bon plaisir divin. Mais il reste pourtant que tel élu se sauve sans avoir été plus aidé que tel homme qui se perd. Molina dit même : Quod hi cum majoribus auxiliis prsedestinati et salvi non fuerint, illi vero cum minoribus pnedestinati ac salvi fuerint, non aliunde fuit, nisi quia illi pro innata libertate noluerunt uti ila suo arbitrio ut salutem consequerentur, hi vero maxime. Concordia, p. 526 ; cf. p. 605.

3. La prédestination « ex prievisis meritis ». — Enfin les adversaires du molinisme élevèrent une grave objection contre la théorie de la prédestination ex prævisis meritis. Sans parler des textes de saint Paul qu’ils invoquèrent contre elle, ils y opposèrent ce principe que Dieu, comme tout sage, veut la fin avant les moyens, puisque ceux-ci ne sont voulus que pour la fin, et que dès lors il veut à ses élus la gloire, avant de leur vouloir la grâce qui leur fera mériter cette gloire. C’est ce qu’avait dit saint Thomas, I a, q. xxiii, a. 4.

Telles sont les principales objections qui furent faites contre la théorie moliniste de la prédestination, surtout dans la Congrégation dite De auxiliis, instituée à Rome par Clément VIII. Les conférences durèrent depuis le 2 janvier 1598 jusqu’au 20 août 1607. A partir de 1602, les souverains pontifes eux-mêmes tinrent à diriger personnellement les débats. Il y eut 85 congrégations papales, 68 sous Clément VIII et